Le poids des mots

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Il y a une semaine exactement, le Comité norvégien surprenait le monde entier en choisissant, pour lui décerner le prix Nobel de la paix 2003, une femme musulmane et iranienne de 56 ans, juriste de formation, avocate de métier (après avoir été magistrate), Shirin Ebadi. Militante chevronnée de la lutte en faveur des droits de l’homme et de la femme, elle était mal connue en dehors de son pays.
À Jeune Afrique/l’intelligent, nous n’avons pas donné à l’événement l’importance qu’il mérite. Faute d’espace et de temps, certes, mais aussi parce que certains d’entre nous s’interrogeaient : pourquoi elle ? En quoi se distingue-t-elle d’autres militants qui ont, comme elle, affronté la répression des tyrans du Tiers Monde et croupi dans leurs prisons ?

Je crois, pour ma part, que le choix du Comité norvégien est pleinement justifié et que Shirin Ebadi, comme en son temps Andreï Sakharov, mérite la distinction reçue. Son visage et son regard lumineux, révélés au monde par les photographes et les télévisions, son comportement et ses déclarations, à Paris puis à Téhéran, m’ont paru ceux d’une personne humble mais déterminée, qui dirige sa vie et son action selon des principes et une doctrine.
Pour vous en persuader, si besoin est, je vous soumets un choix de propos qu’elle a tenus, avant de quitter Paris, le prix l’a surprise, puis à son arrivée à Téhéran, toujours d’une voix posée, sans emphase ni gestes inutiles.

la suite après cette publicité

À Paris : « J’ai toujours agi dans le cadre de la loi et n’ai jamais rien fait d’illégal. J’ai soutenu des protestations pacifiques. Mais quand les choses tournent mal, je suis là pour défendre les victimes, gratuitement. »
« Le plus grand avantage de ce prix Nobel est de montrer qu’il est possible de rester en Iran et de participer là-bas à la défense des droits de l’homme. »
« Je crois qu’il est possible de réformer le régime iranien. Même en Iran, le nombre des gens qui sont favorables à la réforme est en augmentation. C’est ce qui me fait espérer qu’elle finira par avoir lieu. »
« Il n’y a pas de contradiction entre l’islam et les droits de l’homme. Si les droits de l’homme sont violés dans beaucoup de pays musulmans, c’est à cause d’une mauvaise interprétation de l’islam. Ce que je tente de faire depuis vingt ans, c’est de montrer qu’avec une autre lecture de l’islam, il serait possible d’introduire la démocratie dans les pays musulmans.
Nous avons besoin d’une interprétation de l’islam qui laisse plus de possibilités aux femmes, qui soit compatible avec la démocratie et le respect des droits. »
« En Iran, la loi impose aux femmes le port du voile, donc je le porte. Mais je crois qu’avec une interprétation plus progressiste de l’islam, nous pourrions changer cette disposition. À chaque femme individuellement de décider si elle veut porter le voile ou non. »
« Je retourne en Iran parce que je suis iranienne et que je veux mourir dans mon pays. Je vais vous dire ceci : imaginez que vous êtes chez vous et que votre mère est une vieille dame en mauvaise santé, alors que votre voisine est une mère plus jeune et plus dynamique. Pourtant, vous resterez chez vous avec votre vieille mère malade parce que c’est votre mère.
Quand je suis à Paris, où, grâce à la Révolution française, les gens ont tous les droits, j’en profite et je suis heureuse. Mais ce n’est pas mon pays. »
« Ma génération a eu très peu de moyens. Dans ma jeunesse, nous n’avions ni ordinateurs ni Internet. Notre seule source d’information était une petite bibliothèque à l’université. J’espère que les jeunes d’aujourd’hui pourront faire davantage et mieux que moi pour notre pays. »

À Téhéran : « Ce prix ne m’appartient pas, il appartient au grand peuple d’Iran. »
« Il signifie que la demande du peuple iranien en matière de démocratie, de respect des droits de l’homme et de paix a été entendue par les peuples du monde entier, dont l’aide est précieuse. »
« Mais l’étranger ne doit pas intervenir en Iran, car c’est à nous de réformer notre système. Les peuples doivent régler eux-mêmes leurs problèmes. »
« J’espère que tous les prisonniers politiques vont être libérés. »
Tout est dit. Je m’en voudrais d’ajouter un mot à ce magnifique discours.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires