Le pacte de la dernière chance

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

Après le misérable échec de la « feuille de route » (soutenue par George W. Bush, selon la formule consacrée, comme la corde soutient le pendu), le plan de paix israélo-palestinien qui doit être, en principe, signé à Genève le 4 novembre, jour anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin par un fanatique juif, représente peut-être la dernière chance d’en arriver à une coexistence loyale entre Israël et un État palestinien. Faute de quoi, l’heure sonnera des révisions déchirantes. Notamment celle qui commence d’agiter les milieux les plus éclairés de la société israélienne : faut-il renoncer à l’étroite vision sioniste d’un « État juif » (avec toutes les contradictions qu’il comporte) pour se rallier à l’idée tout à la fois plus classique et plus audacieuse d’un État binational judéo-arabe véritablement démocratique, établi sur tout le territoire de la Palestine historique, du Jourdain à la Méditerranée ?
La grande nouveauté de ce plan de paix, déjà baptisé « pacte de Genève », tient d’une part à la qualité de ses négociateurs, d’autre part à la richesse et à la précision de ses articles : cinquante pages, qui ne sont pas encore publiées, mais dont on connaît l’essentiel.
Noués en janvier 2001 lors des pourparlers de Taba, que choisit de stériliser un Ehoud Barak en fin de course, des contacts israélo-palestiniens n’avaient pratiquement jamais cessé depuis lors. Avec l’assistance diplomatique et financière du gouvernement suisse, ils finirent par aboutir en Jordanie, les 11 et 12 octobre, à l’actuel accord entre quelques-uns des plus ouverts représentants des deux camps. Du côté palestinien, l’ancien ministre et proche d’Arafat, Yasser Abed Rabbo, chef de la délégation, s’était entouré d’un autre ancien ministre, Nabil Kassis, et de deux députés du Fatah, Mohamed Ourani et Qaddura Farès. Et l’on assure qu’il bénéficiait de l’appui de Marwane Barghouti, influent dirigeant actuellement emprisonné et traduit en justice par Israël.

Du côté israélien, Yossi Beilin, principal négociateur des accords d’Oslo, s’était non seulement adjoint Avraham Burg, ancien président de la Knesset, et Amram Mitzna, ex-président du Parti travailliste, mais aussi l’ancien chef d’état-major Amnon Lipkin-Shahak et le brigadier général Shlomo Brom, qui avait dirigé jusqu’en 1998 la planification stratégique de Tsahal. Les uns et les autres, par ailleurs, inscrivaient leur démarche dans la ligne de l’initiative de paix déjà élaborée et soumise à pétition par Sari Nusseibeh, président de l’université Al-Qods, et Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth.

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La force du « pacte de Genève » vient qu’il n’élude aucun des plus brûlants problèmes dont la solution était habituellement rejetée à des négociations ultérieures. Sur la base des frontières de 1967 entre Israël et les Territoires, il prévoit en particulier qu’une vingtaine seulement des quelque cent quarante implantations juives pourraient (contre compensation) être annexées à l’État hébreu : ce serait, pour l’essentiel, le cas de Givat Zeev, Maale Adumin et Goush Etzion, à la périphérie orientale de Jérusalem. En revanche, toutes les autres, à commencer par la provocante colonie d’Ariel, au coeur de la Cisjordanie (que Sharon voudrait inclure dans sa « barrière de sécurité ») reviendraient à la Palestine (lire aussi « En vérité » pp. 28-29).
S’il fallait maintenant un signe de la pertinence de ce plan, on le trouverait dans la fureur qu’il a suscitée chez les adversaires de l’État palestinien. À commencer, bien sûr, par Ariel Sharon, mais relayé par un Ehoud Barak, dont l’arrogance et la présomption avaient fait échouer la rencontre de Camp David : « C’est un accord fictif, excentrique, nuisible aux intérêts d’Israël. » Quant à Tommy Lapid, démagogue du laïcisme qui s’accommode fort bien de ses alliances avec la droite religieuse, il proclame que « personne ayant quelque sens du respect n’aurait signé pareille chose ».
Le point d’orgue sera fourni par un Américain, Richard Perle, conseiller du Pentagone, mué en porte-parole de Tel-Aviv. Jugeant anormal que « des groupes d’opposition négocient avec des opposants de l’autre bord », il proclame que le pacte « compromet la sécurité d’Israël, affaiblit son gouvernement et serait illégal aux États-Unis ». Si l’on voulait trouver dans l’administration américaine plus sharonesque que Bush, voilà qui est fait.

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