La course pour le Grand Israël

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

Le Premier ministre israélien Ariel Sharon et ses amis de Washington sont pressés. Ils s’activent pour atteindre leurs objectifs avant qu’on ne les arrête. Et quand ils sont pressés, ils sont particulièrement dangereux. Dans leur ligne de mire : la Syrie et l’Iran, avec en perspective l’Arabie saoudite, et même l’Égypte. Pressions politiques et économiques, sanctions financières, intervention, changement de régime par la force militaire, tels sont les instruments utilisés pour soumettre les Arabes à la volonté d’Israël et de son patron américain.
Le principal objectif de Sharon est de bâtir le Grand Israël sur les ruines du nationalisme palestinien. Son dernier instrument est le mur, ou la barrière, qui enferme les Palestiniens sur une fraction de leur territoire, les coupant totalement de leurs
voisins arabes. Le mur doit être terminé dans huit mois. Sharon est bien décidé à tenir les délais.
Au Conseil de sécurité, la semaine dernière, il a marqué un point important lorsque les États-Unis ont mis leur veto à une résolution déposée par la Syrie et condamnant le mur. Dans les heures qui ont suivi, un groupe radical palestinien a attaqué un convoi diplomatique américain à Gaza, tuant trois Américains et en blessant un quatrième. Sharon
exploitera sans nul doute ce dernier incident pour rameuter l’opinion américaine contre sa bête noire, le président palestinien Yasser Arafat.

Sharon peut perdre Bush

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La grande inquiétude de Sharon, cependant, et la raison de sa précipitation, est que George W. Bush pourrait être éjecté de la Maison Blanche lors de l’élection présidentielle de 2004 entraînant dans sa chute la bande de néoconservateurs pro-israéliens qui tiennent les commandes dans l’administration depuis le 11 septembre 2001. Ce sont eux qui ont poussé à la guerre contre l’Irak, première étape du remodelage de la géopolitique du Moyen-Orient. Mais le ralentissement de l’économie américaine, le bourbier irakien et l’hostilité antiaméricaine qui balaye le monde arabo-musulman rendent aujourd’hui Bush vulnérable. Un démocrate à la Maison Blanche pourrait être moins tolérant à l’égard des folles ambitions d’Israël et moins disposé à mener la politique
agressive des « neocons ».
Sharon a d’autres problèmes chez lui. Les retombées politiques des enquêtes actuellement menées par la police israélienne au sujet de ses deux fils, Omri et Gilad, soupçonnés de trafic d’influence et de corruption, pourraient lui coûter sa place en 2004. Et pour couronner ses craintes, la gauche israélienne, qui, ces deux dernières années, paraissait à l’agonie et politiquement à bout de souffle, montre quelques signes de convalescence.

D’importantes figures de l’opposition comme Yossi Beilin, Amram Mitzna et Avraham Burg se sont joints à des modérés palestiniens conduits par Yasser Abed Rabbo pour rédiger un plan de paix détaillé autour de la solution des deux États, le « pacte de Genève ». Le plan, aboutissement de deux années de négociations secrètes financées par le gouvernement suisse, doit être signé officiellement à Genève le mois prochain, redonnant vie aux
dispositions sur lesquelles il y avait eu un rapprochement à Taba (Égypte), en janvier 2001.
Il comprend tout ce que Sharon et ses amis déteste et ce qu’il a passé sa vie à tenter
d’empêcher. Il prévoit un retrait israélien sur les frontières de 1967 (avec quelques modifications mineures) pour permettre la création d’un État palestinien viable ; l’annexion à Israël de quelques importantes colonies proches de la Ligne verte, mais
l’évacuation de celles qui se trouvent en profondeur en territoire palestinien ; le partage de Jérusalem comme capitale ; la souveraineté palestinienne sur le Haram el-Sharif (le mont du Temple) ; la souveraineté israélienne sur le Mur des lamentations et le
quartier juif de la Vieille Ville ; et concession palestinienne majeure le renoncement au « droit au retour » dans les villes et les villages perdus en 1948. Une force internationale surveillerait la mise en pratique du plan, et les groupes radicaux palestiniens seraient mis à la raison.

Une autre possibilité que la guerre

Le « pacte de Genève » peut, dans le climat actuel, paraître totalement utopique. Il n’a pas la moindre chance d’être appliqué tant que le gouvernement Sharon, ou son pareil, sera au pouvoir. Son importance éventuelle, cependant, tient au fait qu’il offre au peuple israélien ce qu’il n’a pas et ce dont il rêve depuis longtemps : l’espoir que le cauchemar actuel des violences et des contreviolences puisse se terminer.
En d’autres termes, un changement à Washington et un retour vers le centre d’une opinion
israélienne séduite par un plan de paix crédible pourraient encore représenter une menace pour les ambitions de Sharon. Il a réagi au pacte de Genève avec une fureur à peine dissimulée. « De quel droit, a-t-il lancé, des gens de gauche proposent-ils des initiatives qu’Israël ne peut pas prendre, et ne prendra jamais ? »
Sharon a toujours voulu 100 % de la Palestine, une ambition qui aurait signifié l’expulsion de la plus grande partie, sinon de la totalité, de la population palestinienne de la Cisjordanie vers la Jordanie, qui serait alors devenue un État palestinien. Comme les obstacles à un tel projet sont énormes, Sharon a opté pour une solution un peu plus modeste : la mainmise sur 90 % de la Palestine historique, en confinant les Palestiniens sur 10 % de l’ensemble du territoire derrière le fameux mur. Il calcule sans aucun doute que lorsque le mur sera terminé, il finira par être accepté
par la communauté internationale et par les Palestiniens eux-mêmes comme la frontière
d’Israël.

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D’où sa détermination, et celle de ses partisans américains, à foncer au maximum, tant que
l’environnement régional et international lui est favorable.
Le principal atout de Sharon est le président Bush lui-même. En prenant ses distances avec le conflit arabo-palestinien, l’administration Bush semble avoir décidé de laisser Israël régler le problème palestinien comme bon lui semblerait. C’est ce qui ressort du veto qu’elle a opposé aux résolutions de l’ONU condamnant le mur et la récente frappe de Sharon à l’intérieur du territoire syrien, du silence qu’elle observe sur l’expansion des colonies et de son absence de réactions aux destructions massives opérées par Israël à Rafah, sur la frontière de Gaza avec l’Égypte, qui, la semaine dernière, ont laissé 1 500 Palestiniens sans abri. Au moment où Bush prépare nerveusement sa campagne il est en recul dans les sondages , sa démission devant Sharon doit être considérée comme l’une des pages les plus noires de l’histoire américaine récente. Elle a soulevé l’incrédulité
en Europe et, plus grave, une violente haine à l’égard des États-Unis dans les communautés musulmanes de par le monde.

Et pourtant, Sharon a de quoi être satisfait : alors qu’Israël n’est exposé à aucune menace stratégique, ses ennemis tremblent. L’Irak en ruines est occupé par les Américains ; l’Iran, soumis à une forte pression internationale en raison de son programme
d’armes nucléaires supposé, est déchiré par des conflits internes entre conservateurs et réformateurs ; le Golfe, apparemment indifférent et serein, s’abrite sous le parapluie militaire américain ; l’Égypte, neutralisée par son traité de paix avec Israël et les subsides annuels américains, ose à peine ouvrir la bouche pour défendre les Palestiniens
; la Syrie est soumise de tous côtés à des pressions brutales : de la part de Washington, qui se prépare à faire voter une loi qui entérine les boycottages économiques et diplomatiques prévus par le Syria Accountability Act, et de la part d’Israël, qui, l’autre semaine, l’a fait bombarder par son aviation et semble prêt à recommencer.
Sharon pense encore qu’il peut obliger les Palestiniens à se soumettre par la violence. L’attaque contre le camp palestinien proche de Damas, comme les incursions israéliennes répétées à Rafah, sont manifestement des avertissements donnés à la Syrie et à l’Égypte pour qu’elles s’abstiennent de tout soutien aux Palestiniens ou, alors, d’avoir à en subir les conséquences. Mais Sharon n’a pas encore trouvé de réponse aux attentats
suicide qui ont traumatisé la population israélienne, ruiné l’économie, tué le tourisme et
coupé les investissements étrangers. Ils gênent profondément Sharon, mais il peut penser que c’est le prix à payer. Sa priorité, c’est la terre, pas la sécurité. La sécurité, pense-t-il, viendra avec le mur et la reddition des Palestiniens.

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