Kérékou veut-il rempiler ?

L’élection présidentielle de 2006 focalise déjà l’attention des Béninois, qui s’interrogent sur les intentions de leur président. Mais s’il veut briguer un nouveau mandat, le chef de l’État devra d’abord modifier la Constitution.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 5 minutes.

Qu’est-ce qui alimente donc, en ce mois d’octobre, les conversations dans les « carrés » et les gargotes de Cotonou ? Les passes d’armes politiciennes entre le pouvoir et son opposition ? La prochaine rentrée parlementaire ? Le dernier tête-à-tête – dont rien n’a d’ailleurs filtré – entre le président Mathieu Kérékou et son prédécesseur, Nicéphore Soglo, aujourd’hui maire de la capitale économique ? Dans les concessions et les maquis, on ne parle pas davantage du récent ouvrage de l’ancien ministre (et probable candidat à la présidentielle de 2006) Séverin Adjovi, Élection d’un chef d’État en Afrique (publié fin septembre, à Paris, aux éditions L’Harmattan). Ni de la course effrénée à l’audimat que se livrent les deux grandes chaînes de télévision privée, LC2 et Golfe Télévision. L’ambiance, en ce mois d’octobre caniculaire, est à la fête et aux distractions. L’élection, le 11 octobre, de Miss Bénin 2003, est ainsi dans toutes les discussions. La lauréate, Muriel Agossa, 19 ans, lycéenne, ne manque pas, il est vrai, d’arguments.
Les cérémonies commémoratives du soixantième anniversaire (et des quarante ans de scène) de l’increvable salsero Gnonnas Pedro, considéré comme l’une des voix d’or du groupe panafricain Africando, ont mobilisé foule, le 12 octobre. Tout comme la prestation, somme toute honorable, du onze national, les Écureuils, le même jour, à Antananarivo. Malgaches et Béninois se sont séparés sur un score nul (1 à 1) au tour préliminaire aller des qualifications combinées de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2006 et du Mondial 2006. En attendant, les Écureuils participeront pour la première fois, l’an prochain, à la phase finale de la CAN, qui se déroulera en Tunisie (voir page 62).
Abondamment couvertes par les journaux, les radios et les télévisions, ces manifestations culturelles et sportives contribuent quelque peu à renforcer l’ego des Béninois. Elles permettent par ailleurs de prolonger artificiellement les vacances. Au point que certains avaient fini par oublier la rentrée scolaire, avec son lot de soucis et de dépenses. Écoliers, collégiens et lycéens ont retrouvé le chemin des cours, le 13 octobre, au grand soulagement de certains parents, habitués, depuis plusieurs années, à des reprises difficiles.
L’enveloppe financière complémentaire de 2,5 milliards de F CFA (3,8 millions d’euros) promise, début octobre, par l’État aux enseignants, au titre des indemnités, suffira-t-elle, cette fois-ci, à calmer le jeu ? « Depuis cinq à six ans, l’Éducation nationale est, de façon récurrente, en proie à la contestation, explique un observateur avisé. Chaque fois, l’invalidation de l’année académique a été évitée de justesse. Celle qui commence ne devrait pas faire exception à la règle, d’autant plus qu’on s’achemine vers un rendez-vous crucial, la présidentielle de 2006. »
Dans ce pays réputé frondeur, la léthargie actuelle ne doit donc pas faire illusion. Ici, la politique, loin devant le football, est un véritable sport national. Où, surtout à l’approche d’un scrutin de cette importance, tous les coups semblent permis. La presse, une partie de l’opinion et l’opposition ont beaucoup glosé, en septembre, sur les mésaventures du gouvernement, sommé par le Nigeria d’extrader un malfaiteur familier des hautes sphères du pouvoir à Cotonou. Après de vertes remontrances et un ultimatum d’un voisin craint pour sa puissance réelle ou supposée, les autorités béninoises n’ont eu d’autre choix que de s’exécuter. Et de livrer le quidam, soupçonné d’être le parrain d’un réseau criminel international opérant à la fois au Bénin et au Nigeria. « Le retour au pouvoir du général Kérékou a entraîné l’émergence d’une race de rapaces voraces, qui, tels des vampires, sucent abondamment notre économie », a aussitôt réagi, inspirée, la Renaissance du Bénin (RB), le parti de Soglo.
Mais au-delà de ces péripéties et d’une « criminalisation » croissante de la vie politique, qui inquiètent ONG et diplomates, une question taraude les observateurs, au fur et à mesure que l’échéance électorale, fixée au premier trimestre de 2006, approche. Mathieu Kérékou, président de facto du Bénin de 1972 à 1991, remercié, puis revenu au pouvoir par les urnes en 1996 et réélu cinq ans plus tard, fera-t-il valoir ses droits à la retraite ? Ou, au contraire, emboîtera-t-il le pas à ses pairs togolais, gabonais, burkinabè, guinéen et tunisien, qui n’ont pas hésité à faire modifier la Constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats et s’installer pour une période indéterminée au pouvoir ? Sur cette question, capitale pour l’avenir de la démocratie béninoise, les commentaires vont bon train.
Certains, notamment les thuriféraires du régime, des chefs d’État « amis », mais aussi des collaborateurs craignant pour leur viatique, poussent le « Caméléon » – surnom de Kérékou – à rempiler. « La procédure de révision est prévue par la Constitution elle-même, il n’y a donc aucun mal d’y recourir, d’autant plus que tout le monde le fait », martèlent-ils. « Il est temps que votre pays arrête de donner le mauvais exemple, aurait même confié au président béninois l’un de ses pairs africains. Avec cette histoire de Conférence nationale, au début des années 1990, tu as semé la zizanie sur le continent. Ensuite, tu as organisé, en 1991, une élection présidentielle que tu as eu la mauvaise idée de perdre ! »
Certaines chancelleries étrangères, à Cotonou, mais aussi plusieurs proches de Kérékou (on peut citer l’ancien président Émile Derlin Zinsou, l’ex-ministre – et actuel représentant spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire – Albert Tévoédjrè) ont d’ores et déjà mis en garde le principal intéressé. « N’écoutez pas le chant des sirènes, car, sans être différent, le Bénin n’a pas la même culture politique que les autres pays. Si vous cédez, vous aurez peut-être à le regretter », répètent-ils à un homme qui a fêté, le 2 septembre dernier, ses 70 ans, dont, à ce jour, plus de 26 à la tête du pays.
Que pense donc le principal intéressé de ce remue-ménage ? Comme à son habitude, il cultive le mystère sur ses intentions, laisse (ou fait) dire et attend. De fait, indique-t-on de bonne source, le président béninois, qui a déjà prouvé à plusieurs reprises qu’il pouvait surprendre, ne procédera pas à une modification de la Constitution pour se représenter devant les électeurs. « Il évite de l’annoncer pour ne pas ouvrir, de façon prématurée, la course à la succession », ajoute la même source. Informés de cette retraite à venir par une fuite, les candidats à la succession se bousculent déjà au portillon. Il est pratiquement acquis qu’on retrouvera sur la ligne de départ deux vétérans de la vie politique comme l’ancien président de l’Assemblée nationale, Adrien Houngbédji, et le ministre d’État Bruno Amoussou, tous deux multirécidivistes. Mais aussi Yayi Boni, actuel président de la Banque ouest-africaine de développement (Boad), dont le siège se trouve à Lomé, Abdoulaye Bio-Tchané, directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI), à Washington jusqu’en 2005 (une année avant le scrutin présidentiel !), l’homme d’affaires (et ancien ministre) Séverin Adjovi, ex-directeur de campagne de Kérékou (en 1996). Et, sans doute, un autre businessman, controversé, celui-là, Séfou Fagbohoun, qui a réussi le tour de force de racheter une entreprise publique, la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop), avec les… propres fonds de ladite société.

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