Jeudi « noir »

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 3 minutes.

La plus grande crise du capitalisme ne commence pas en fanfare, le jeudi 24 octobre 1929. Wall Street, la Bourse de New York, ouvre ce jour-là avec des prix plutôt fermes et calmes. Certes, depuis le 3 septembre, elle plafonne à son plus haut où l’a conduite une hausse de 340 % ininterrompue depuis 1923. Mais les augures sont rassurants. Le professeur Irving Fischer, de l’université Yale, ne certifie-t-il pas que « le prix des actions a atteint ce qui paraît être un plateau permanent » ?
En fin de matinée, les prix commencent à fléchir. Écoutons le récit ironique de l’économiste John Kenneth Galbraith(*) : « Vers 11 heures, le marché avait dégénéré en une mêlée folle et effrénée pour vendre. […] À l’extérieur de la Bourse, dans Broad Street, un rugissement mystérieux se fit entendre. Une foule s’attroupa. Le commissaire de police Grover Whalen se rendit compte que quelque chose se passait et dépêcha un détachement de police pour assurer l’ordre. […] Un ouvrier apparut au sommet d’un des grands édifices pour faire quelques réparations et la multitude crut qu’il voulait se suicider, attendant impatiemment qu’il saute. […] Rumeurs sur rumeurs balayèrent Wall Street et ses rues adjacentes. Les actions se vendaient maintenant pour rien. Les Bourses de Chicago et de Buffalo avaient fermé. Une vague de suicides se développa et onze spéculateurs bien connus s’étaient déjà donné la mort. »

En cent quatre minutes, Wall Street perd entre 7 milliards et 9 milliards de dollars ; 12 894 650 titres changent de main. Les baisses de cours atteignent jusqu’à 40 %. C’est la panique jusqu’à ce qu’apparaisse dans la salle des cotations, à 13 h 30, Richard Whitney, l’agent de change de JP Morgan. En achetant 10 000 titres de Bethlehem Steel à un prix « normal », il apaise le pessimisme des opérateurs et les ordres d’achat se mettent à affluer. Menée de main de maître par les banquiers de la place, cette manipulation réussit : au soir de ce « jeudi noir », la plupart des actions ont regagné le terrain perdu. La crise ? Quelle crise ?
Mais on n’arrête pas une machine infernale qui menaçait depuis longtemps. D’un côté, les surplus agricoles s’accumulaient depuis six ans et les produits industriels ne trouvaient plus preneur au rythme qui avait suivi la Grande Guerre ; de l’autre, les spéculateurs pariaient de façon irrationnelle sur une poursuite indéfinie de la croissance des profits et des valeurs, avec la complicité d’un système bancaire irresponsable.

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La déflagration boursière va donc se poursuivre dans les jours, les mois et les années qui suivent, la crise nourrissant la crise. Car les spéculateurs se mettent désormais à vendre leurs actions pour rembourser les emprunts réalisés pour acheter lesdites actions. En quatre ans, Dupont de Nemours perd 90 % de sa valeur, et Chrysler 96 %. La production industrielle américaine s’effondre de 54 %. Les prix industriels baissent de 27 %, et celui du blé de 60 %. La récession porte le nombre des chômeurs américains de 2 millions en 1929 à 15 millions en 1934.
Deux témoins ont immortalisé les ravages sociaux de cette « grande dépression » : l’écrivain John Steinbeck, qui décrit la rage des fermiers en déroute dans Les Raisins de la colère, et le cinéaste Charlie Chaplin dont le héros, Charlot, incarne les tribulations du prolétariat, notamment dans Les Temps modernes.
L’onde de choc partie, le 24 octobre, de New York gagnera les pays d’Europe et d’Amérique latine qui, à leur tour, aggraveront la crise en pratiquant des politiques protectionnistes et nationalistes. C’est l’approche de la guerre de 1939 et les dépenses d’armement qui relanceront la machine économique mondiale… juste avant que celle-ci ne soit ruinée par les hostilités.

* La Crise économique de 1929, Petite bibliothèque Payot, 1976.

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