Jean-Paul II

Depuis qu’il a hérité du trône papal, il y a exactement vingt-cinq ans, le souverain pontife n’a cessé d’étonner le monde par son courage et sa détermination.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 6 minutes.

« N’ayez pas peur ! » Cette formule retentit pour la première fois aux oreilles du monde chrétien le 22 octobre 1978, jour de la cérémonie qui place officiellement Jean-Paul II sur le trône papal. Il l’a si souvent répétée depuis qu’elle marque comme un leitmotiv l’ensemble de son pontificat, l’un des plus longs de l’histoire de l’Église. C’est en effet il y a vingt-cinq ans, le 16 octobre 1978, que le cardinal Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie, succède à Jean-Paul Ier, devenant ainsi le 264e souverain de l’Église catholique. Premier pape non italien depuis Hadrien VI (1522-1523), il est aussi le premier polonais et le plus jeune – il a alors 58 ans – depuis Pie IX (1846-1878).
« N’ayez pas peur ! » s’exclame-t-il urbi et orbi dans une dizaine de langues, dont le russe, le tchèque, le slovaque, l’ukrainien et le lituanien. Quel message cherche-t-il à faire passer ? Simplement qu’il est là pour donner une voix à ceux qui n’en ont pas et que le courage est davantage qu’une vertu, c’est une force. Né le 18 mai 1920 dans un milieu modeste, il a vu son pays ravagé par la guerre et le nazisme, puis écrasé sous la chape de plomb du communisme. Il sait qu’il faut résister aux menaces, pressions et contraintes de toutes sortes inhérentes aux dictatures. Il sait aussi qu’il faut oser être soi-même et se faire confiance. C’est le thème de sa première encyclique, Redemptor Hominis (Sur la rédemption et la dignité de l’homme), publiée le 15 mars 1979, qui symbolise la philosophie de tout son règne.

Jean-Paul II est un pape énergique, tant physiquement – il fait du ski, de la randonnée, de la natation – que moralement – il est un fervent adepte de la méditation, qu’il pratique quotidiennement durant de longues heures. C’est donc en pleine possession de moyens intellectuels et mentaux impressionnants qu’il va vivre et agir au coeur des principaux événements politiques de la fin du XXe siècle. Son premier engagement s’inscrit dans la continuité de ses opinions de jeune Polonais : le nouveau souverain pontife soutient le syndicat Solidarnosc et fait sienne la lutte que ses compatriotes mènent pour ses libérer du joug soviétique. « Que la force du Bien triomphe sur les forces du Mal », répète-t-il à l’envi, citant saint Paul. Jusqu’à la dissolution de l’Union soviétique, le 25 décembre 1991, il prendra part, à sa manière, à la lutte contre le communisme.

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Drôle d’homme que ce souverain pontife qui a jeté par-dessus les clochers la langue de bois, en vigueur dans la diplomatie vaticane depuis des lustres. Dérangeant aussi, parce qu’il interpelle sans ménagement un monde qui veut vivre dans le confort de la richesse pour lui rappeler le sort des pauvres. Pour réconforter les populations et raffermir les Églises locales, Jean-Paul II parcourt le monde, comme Paul VI, premier pape à se rendre en visite hors d’Italie. Il accepte toutes les invitations, même les plus lointaines, comme la Corée du Sud, la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou les îles Salomon. En 1998, il se rend à Cuba. L’île de Fidel Castro avait failli être le premier pays visité par le pape, en janvier 1979. Apprenant que le souverain pontife se rendait au Mexique, le Líder Máximo lui avait proposé de faire escale à Cuba. Mais le Vatican avait décliné l’invitation. Pas question d’improviser une visite mal préparée, dans un pays communiste où les chrétiens n’avaient aucun droit. Castro s’en trouva fort marri, et il fallut des années de négociations et la visite du cardinal Etchegaray en 1992 pour remettre à flot le projet.
De tels événements, très médiatisés, valent à Jean-Paul II des critiques acerbes. Le pape en fait fi, convaincu que c’est le meilleur moyen pour mettre en lumière ceux qui vivent dans l’injustice, la misère ou la dictature. Au total, il a accompli cent deux voyages à l’étranger et cent quarante-trois dans la péninsule italienne, soit plus de 1,1 million de kilomètres parcourus. L’Afrique n’est pas oubliée, loin s’en faut. Sur les cinquante-quatre pays du continent, huit seulement ne recevront pas sa visite. Dans certains, comme la Côte d’Ivoire et le Kenya, il se rendra trois fois. Fidèle à ses idéaux, il porte des jugements sans concession, ce qui le pousse à dénoncer officiellement, le 7 juillet 1984, l’apartheid en Afrique du Sud. Il attendra septembre 1995 pour s’y rendre. Jean-Paul II utilise aussi ses voyages pour en finir avec les vieux reproches faits aux catholiques. Ainsi, en 1992, au cours de son premier séjour au Sénégal, il demande pardon aux Africains pour les siècles d’esclavage. De même en mars 2000, pendant son pèlerinage jubilaire à Jérusalem, il présente des excuses aux Juifs pour la conduite des chrétiens à leur égard, en particulier dans les années 1940.
Parce qu’il a compris que la ferveur populaire est une puissance formidable, Jean-Paul II porte son message urbi et orbi, suscite les vocations et réveille les consciences, infatigable « sportif de Dieu ». Son meilleur public ? Les jeunes, dont il a su redynamiser la foi à travers des rassemblements gigantesques, les fameuses Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 300 000 personnes étaient à Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) en 1989, 1 million sont venues à Czestochowa (Pologne) en 1991, 3 millions à Manille en 1995. Les moins bons scores de Paris, 1 million de participants en 1997, et de Rome, 2 millions en 2000, s’expliquent pour une bonne part par le coût élevé de la vie dans ces deux villes. Le souverain pontife souhaite à tel point leur parler la langue qu’ils comprennent qu’il va jusqu’à enregistrer un disque, Abbà Pater, dans lequel il récite des prières et des homélies, mixées à une dance music un peu doucereuse. Une façon de damer le pion aux pentecôtistes, ces protestants adeptes du negro spiritual qui recrutent à tout-va chez les moins de 30 ans.

Cet homme n’aurait-il donc que des qualités ? Non. Jean-Paul II porte en lui le curieux paradoxe du catholicisme, qui mêle l’inflexibilité du dogme à une grande compréhension pour les circonstances particulières. D’un côté, il fait preuve d’une indubitable ouverture intellectuelle, de chaleur humaine, d’oecuménisme. De l’autre, il se montre sur certains points intraitable et d’une orthodoxie théologique sans appel. Les évêques et les théologiens n’ont aucun droit dans l’Église. Mgr Lefebvre, l’ancien archevêque de Dakar, finalement excommunié en 1988 au terme d’une longue controverse, et surtout Mgr Gaillot, privé de son diocèse d’Évreux pour avoir fait trop de politique, en sont des exemples. Jean-Paul II s’est montré aussi intransigeant avec plusieurs théologiens de la libération d’Amérique latine, ainsi qu’avec Eugen Drewermann, un Allemand qui a osé passer au crible de la psychanalyse la vocation et la condition cléricale. Sans parler du père Tissa Balasuriya, sri-lankais, excommunié pour ses prises de position favorables à la théologie féministe.

Son refus de l’ordination des femmes est ferme et définitif. Comme celui de l’avortement et de l’utilisation de toutes les méthodes de contraception, même celles destinées à protéger des maladies sexuellement transmissibles. Crispé sur des valeurs traditionnelles comme la chasteté, le pape ne veut pas voir l’évolution des moeurs et, partant, se dévalorise comme autorité morale en exigeant de ses fidèles un comportement anachronique, une morale sexuelle et conjugale dépassée. Bien que leur nombre soit difficile à évaluer, de nombreux chrétiens ont quitté l’Église catholique en réaction à cette prise de position.
Est-ce cette rigidité morale qui l’a empêché de mener à bien plusieurs des réconciliations qu’il s’était promis de réaliser ? Par exemple, avec le patriarche orthodoxe de Moscou qui l’accuse, entre autres, de se livrer à un prosélytisme excessif.
Aujourd’hui, Jean-Paul II se meurt. Son agonie se déroule en public et bouleverse une bonne partie de la planète. Sur toutes les télévisions, on voit des images de cet homme recroquevillé, en proie à une douleur vive, balbutier des paroles incompréhensibles avant qu’un proche ne vienne reprendre son discours ou lui essuyer respectueusement la bouche. Le pape dispense ainsi son dernier message, le plus pathétique, mais peut-être le plus fort : la vieillesse fait partie de la vie, elle ne doit pas se cacher, et toute mission doit être menée jusqu’à la limite ultime.

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