Islam et démocratie : un faux problème
Dans les pays arabes, l’obstacle à la démocratie n’est pas la religion, mais la politique autoritaire exercée par des régimes trop souvent corrompus qui reposent sur des solidarités claniques. Il y a bien un problème de démocratie dans les pays arabes. Mais l’attribuer à l’islam est un peu rapide. D’abord parce que le monde arabe n’est qu’une petite partie du monde musulman. Si l’on considère les autres pays musulmans et si on les compare à ce qui est comparable, c’est-à-dire leurs voisins non musulmans au lieu de la Suisse, la prétendue incompatibilité entre islam et démocratie s’efface vite : la Turquie est sans aucun doute plus démocratique que l’Arménie ou la Géorgie (sans parler de la Russie), comme c’était le cas vis-à-vis de la Grèce et de la Bulgarie il y a trente ans. L’Indonésie tient bien la comparaison avec les Philippines et la Malaisie avec la Thaïlande. Le Mali en remontre à la République centrafricaine et le Bangladesh à la Birmanie ; il n’y a guère que le Pakistan qui ne tienne pas la comparaison avec son voisin indien, lequel compte néanmoins plus de musulmans que le Pakistan lui-même.
Alors ne parlons pas d’islam lorsqu’on vise le monde arabe. Le problème est que dans les pays arabes le principal obstacle à la démocratie n’est pas la religion, mais les régimes en place. Or le modèle politique de ces régimes, à l’exception des monarchies, est hérité des dictatures européennes des années 1920, mâtinées de socialisme tiers-mondiste des années 1950 : parti unique, leader bien-aimé, nationalisme exacerbé (insistant sur l’identité arabe, aux dépens des autres groupes ethniques), poids des armées et des services de sécurité, économie étatisée. On est plus près de Mussolini que de l’ayatollah Khomeiny. La légitimité historique est la lutte anticolonialiste, pas le temps du Prophète. Qu’il s’agisse du baasisme, du nassérisme ou du FLN algérien, on est entre Castro et la mafia plutôt qu’entre le Coran et Saladin (Arafat n’est pas une exception, pas plus que le phalangisme libanais, heureusement jeté aux orties par les chrétiens).
N’oublions pas que c’est un chrétien, Michel Aflaq, qui a fondé le parti Baas de Saddam Hussein et de Hafez el-Assad. Quant aux monarchies, elles jouent sur une légitimité familiale et tribale éventuellement rehaussée d’une touche de vert pour faire un peu plus saint ; on se réclame de la lignée du Prophète au Maroc et en Jordanie, d’une secte rigoriste (le wahhabisme) chez les Saoud, et enfin d’un clanisme presque notarial dans le Golfe (de l’émirat comme héritage). À part l’Arabie saoudite, ces monarchies sont souvent plus ouvertes que les présidents et généraux des pays « laïques » voisins.
Il y a bien un problème de démocratie dans les pays arabes, mais il est plus à chercher dans la sociologie politique que dans l’islam : c’est ce que l’on appelle les açabiyya, c’est-à-dire les groupes de solidarité fondés sur la famille étendue, le clan, la tribu, les clientèles, les promotions d’écoles militaires, etc. Or ces groupes vont de pair avec les dictatures modernes. Ils sont à la fois des instruments de pouvoir (les Tikritis de Saddam Hussein, les Alaouites de Syrie) et des refuges contre le pouvoir.
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