[Chronique] Un chameau, ça n’existe pas

Dromadaires (et non chameaux, qui ont deux bosses) de Djibouti prêts à être embarqués pour les pays du Golfe.

Dromadaires (et non chameaux, qui ont deux bosses) de Djibouti prêts à être embarqués pour les pays du Golfe.

Fouad Laroui © DR

Publié le 24 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.

Il y avait autrefois – plus précisément au milieu du XVIIe siècle –, dans la bonne ville de Heidelberg, un professeur d’université comme seule l’Allemagne sait en produire : immensément érudit, maniant le grec ancien et le latin comme s’il avait joué aux dés avec Platon et aux billes avec Virgile, compulsant le manuscrit comme d’autres troussaient la domestique – avec une allégresse confinant à l’extase –, maniaque de la note de bas de page et capable de traiter de tous les sujets, de tous les pays, de toutes les époques.

« Le chameau ? Un tel animal ne peut pas exister ! »

Moyennant quoi, le Herr Doktor n’avait jamais mis les pieds hors de Heidelberg. Certains prétendent même qu’il n’avait jamais quitté le voisinage où il était et qui se trouvait, de manière prémonitoire, dans le quartier où se dressait l’Université.

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Un jour, on ne sait pourquoi, le polygraphe s’attaqua au chameau.

Il lut avec attention les relations de voyage, les récits d’explorateurs, les comptes rendus des Académies savantes ; il calcula le poids relatif de la bébête rapporté à ses articulations ; il estima le volume des fameuses bosses et ce qu’elles pouvaient contenir de réserves d’énergie, le tout divisé par l’âge du chamelier ; et il arriva à une conclusion aussi radicale que péremptoire : un tel animal ne pouvait pas exister !

Et paf ! C’était dit et bien dit (je résiste à l’envie de citer l’article en allemand de l’époque – il commence par « Jedes Kind weiß, dass ein Kamel ein Wunder ist » –, parce que ces accès de cuistrerie énervent grandement mon très estimé directeur de la rédaction).

Quelques mois après l’article renvoyant le chameau brouter au royaume des fables à côté du griffon et de la licorne, des romanichels s’installèrent pour quelque temps à Heidelberg dans l’espoir de gagner moult pfennigs en amusant le vain peuple. Ils avaient apporté une petite ménagerie dont la pièce maîtresse était – vous l’avez deviné, sagaces lecteurs – un chameau.

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Le professeur, alerté par ses voisins, se transporta sur la place du marché (où se trouvait la ménagerie), ajusta son lorgnon et examina minutieusement le placide ongulé. Puis il rentra chez lui à pas lents, s’installa devant son lutrin, prit sa plus belle plume d’oie, la plongea dans l’encrier et pondit un article furibond dont voici l’essentiel : « Le chameau ? Un tel animal ne peut pas exister ! »

Maintenant vous vous demandez pourquoi j’ai exhumé cette anecdote qui fait toujours un tabac dans les fins de banquet ? Eh bien, c’est parce que ce professeur cocasse semble s’être réincarné en ce début de millénaire – mais c’est hélas bien moins amusant qu’à Heidelberg jadis. Ce sont maintenant des hommes puissants, à commencer par l’ignoble Trump, qui s’évertuent à nier l’évidence, à nier ce qui crève les yeux.

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Négationnisme climatique

L’Australie brûle ? Le changement climatique n’existe pas.

Les glaciers disparaissent ? Le changement climatique n’existe pas.

Les événements extrêmes (ouragans, sécheresses…) se multiplient ? Le changement climatique n’existe pas.

La calotte glaciaire fond ? Le changement climatique n’existe pas.

Les espèces disparaissent à un rythme tellement rapide qu’on parle maintenant de la « 6e grande extinction » ? Le changement climatique n’existe pas.

Et ainsi de suite.

Mais, à la différence de l’inoffensif Herr Professor Doktor qui ne causait aucun dégât – à part les plumes d’oie, l’encre et le tabac, il ne consommait pas grand-chose –, ces personnages néfastes contribuent, par leur négationnisme, à aggraver le problème. Qui est notre problème.

Et on ne peut même pas « les renvoyer à leurs chères études », comme le veut la formule quand il s’agit de politiciens désavoués par le suffrage. Ces incultes bornés n’en ont pas fait, ou si peu.

Et c’est peut-être bien là le fond du problème.

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