Fièvre bouddhiste à Paris
En tournée en Europe, le dalaï-lama a fait escale en France, pour livrer ses enseignements à un public de plus en plus large. Reportage.
« Le dalaï-lama me donne confiance en l’homme. Il incarne le meilleur de l’humanité au milieu des guerres et de la souffrance qui déchirent le monde. » La quarantaine branchée, Amar Rouagdia, psychothérapeute parisien, attend aux marches du Palais omnisports de Paris-Bercy (POPB) que le chef spirituel du Tibet reprenne son enseignement. La jeune femme qui l’accompagne est fascinée par les interventions de la matinée. « J’aborde ce discours comme un cours de philosophie de très haut vol, déclare-t-elle. L’exercice est vraiment passionnant. » Ce 15 octobre, ils sont près de 7 000 à écouter le chef d’État tibétain en exil, qui se défend de prosélytisme. Certains sont là depuis le 11 et resteront jusqu’au 18 octobre. Le dalaï-lama, Tenzin Gyatso au civil, partira ensuite vers d’autres cieux européens dans le cadre d’une tournée de trois mois. « Pour une intervention aussi technique et en pleine semaine, le nombre de participants prouve que l’attente des Français est immense », affirme une organisatrice.
Le dalaï-lama se livre en effet à un exercice difficile en commentant les textes de Nagarjuna, un grand sage du IIe siècle après Jésus-Christ réputé pour la richesse et la complexité de son message. Cela n’a pas découragé les adeptes, qui sont arrivés tôt dans cette salle immense transformée pour l’occasion en amphithéâtre pour élèves studieux. Quelques minutes avant l’arrivée du grand homme, les retardataires gravissent les marches quatre à quatre, portés par leur curiosité. Au son des chants tibétains, l’hôte de Bercy fait son entrée sur fond de tentures safran et grenat. Encadré par un impressionnant cordon de sécurité, il gravit les quelques marches de l’estrade sur laquelle trône son fauteuil d’apparat. Une centaine de moines tibétains l’entourent. Lorsque le dalaï-lama salue l’assistance d’une petite inclination du torse, la foule ondule en réponse. La grand-messe tibétaine peut commencer.
Concentré sur la voix du sage tibétain, Prix Nobel de la paix en 1989, le public ne perd pas une miette des enseignements dispensés sur le thème de « l’art du bonheur ». François-Xavier est assis en tailleur sur le tatami du parterre central. « Je pratique le bouddhisme depuis six ans comme une philosophie de vie, explique ce professeur de droit à la faculté de Strasbourg, même si des éléments religieux s’intègrent inévitablement à ma pratique. » Comme 600 000 Français, il a opté pour cette religion venue du Tibet. « Je réserve une à deux heures par jour à la méditation », affirme l’enseignant, qui fait partie des 50 000 pratiquants réguliers du pays (chiffres de l’Union bouddhiste de France). « J’ai choisi le bouddhisme parce que c’est la voie qui répond le mieux aux questions que je me posais depuis longtemps », explique l’adepte, entièrement acquis aux valeurs bouddhistes de fraternité. François-Xavier évoque timidement « les six mondes visibles et invisibles qui forment l’univers ». Invité à poursuivre, il se lance dans une ultime explication : « Nous nous déplaçons d’un monde à l’autre et renaissons inlassablement. Cette théorie me laissait un peu sceptique au début, reconnaît le juriste, mais après réflexion, j’ai fini par adopter cette vision des choses. » Sa voisine de tatami et amie, Armelle, affirme avoir découvert le bouddhisme « par accident ». Lucide, elle raconte : « J’affrontais une séparation amoureuse, une période professionnelle difficile et le décès d’un proche. J’avais des interrogations, plus pragmatiques que métaphysiques. » Très méfiante au départ, la jeune psychologue observe longuement les pratiquants avant de se lancer. « Ils ne correspondaient pas aux clichés que j’en avais », lance-t-elle. Autre motif d’attirance intellectuelle : « J’avais besoin de voir incarnées les idées auxquelles je crois. Le dalaï-lama vit comme il nous l’enseigne. » Résultat : « Mes proches me trouvent apaisée », glisse-t-elle.
À midi, les participants se retrouvent dans le restaurant tibétain improvisé sous un grand chapiteau blanc dressé pour l’occasion. Jeunes et vieux, simples curieux et moines tibétains forment un assemblage éclectique de convives. « Les spectateurs ne deviendront pas bouddhistes en un jour, explique doucement le moine Tenzin Kalsang, mais ils pourront en retirer des choses qui amélioreront leur quotidien. » Le bouddhisme serait-il une école du bonheur ? « Sa pratique permet de faire reculer la souffrance », affirme le moine aux traits burinés. Cette religion devenue philosophie de vie en Occident peut-elle être simplement un outil de bien-être, faisant fi du sacré ? Réponse de Matthieu Ricard, fils de Jean-François Revel et coauteur, avec lui, d’un ouvrage intitulé Le Moine et le philosophe : « Le bouddhisme est à la fois une croyance et la connaissance de la manière dont fonctionnent l’esprit, les émotions et la perception. Il peut parfaitement être abordé sous le seul angle de la connaissance pratique de l’esprit, sans intégrer la croyance. C’est possible pour quiconque en a la volonté. »
Lobsang Chogyal, Sixte Vincotte de son vrai nom, ne s’est pas contenté de la connaissance de l’esprit. Après une scolarisation chez les jésuites, ce jeune Parisien a troqué sa croix catholique contre le kasâya, l’habit des moines bouddhistes. Lobsang, qui termine une formation de sept ans dans un centre bouddhiste italien, se lève tous les jours à 6 heures et commence sa journée par trois heures de méditation et de prière. « J’ai longtemps cherché des réponses à mes questions, affirme le jeune moine. Dans le catholicisme, la notion de Dieu créateur, qui n’existe pas dans le bouddhisme, me gênait particulièrement. » Autre point positif pour cet esprit libre : « Le dalaï-lama nous recommande de ne pas suivre aveuglément ses enseignements et de privilégier notre expérience quand elle contredit sa parole. » La critique contre la religion d’origine revient souvent chez les adeptes pour expliquer leur conversion – ou leur sympathie. « Les notions de châtiment et de récompense omniprésentes dans le catholicisme ne se retrouvent pas dans le bouddhisme », explique François-Xavier. « Cette confession nous inculque la notion de responsabilité individuelle », renchérit Armelle. Le dominicain Thierry-Marie Courau, seul prélat catholique présent, est l’invité du dalaï-lama. « Je suis curieux de comprendre les grandes philosophies humaines pour enrichir ma vision, indique-t-il, mais comprendre ne veut pas forcément dire suivre. »
Du simple compagnonnage spirituel à la conversion, le bouddhisme semble séduire un nombre croissant de fidèles. Selon des recensements réalisés par l’institut français Sofres, en 1994 et 1999, le nombre de Français se sentant plus proches du bouddhisme que de toute autre religion serait passé de deux à cinq millions en cinq ans. En tibétain, dalaï-lama signifie « océan de sagesse ». En ces temps troublés, il pourrait séduire un nombre croissant de fidèles.
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