Et si l’Inde rattrapait la Chine ?

Au regard de son extraordinaire potentiel de croissance, New Delhi pourrait bien combler son retard sur Pékin d’ici à vingt ans.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

L’avenir appartient à l’Inde, pas à la Chine. C’est le jugement à tout le moins provocateur de deux spécialistes américains de sciences politiques particulièrement bien placés, puisque l’un est né en Chine et l’autre en Inde. Le premier, Yasheng Huang, est professeur au Massachusetts Institute of Technology. Le second, Tarun Khanna, enseigne à la Harvard Business School.
La Chine est de plus en plus considérée comme un immense succès économique et un concurrent redoutable. Ses prouesses à l’exportation permettent à des millions de Chinois d’échapper à la misère et font trembler chefs d’entreprise et salariés, pas seulement aux États-Unis, mais partout, du Mexique à la Malaisie en passant par l’Espagne.
L’Inde – malgré ses impressionnants centres d’appels téléphoniques, ses sociétés de logiciels et ses laboratoires pharmaceutiques – donne l’image d’une économie moins performante.
Les Chinois ont l’ordre, la discipline, des téléphones et des routes modernes, moins de pauvreté et une croissance économique plus rapide. Les Indiens ont la démocratie, le désordre, des téléphones et des routes en piteux état, davantage de pauvreté et une croissance plus lente.
La brillante réputation de la Chine tient aux énormes investissements étrangers dans l’industrie manufacturière et le bâtiment. L’investissement direct étranger y est dix fois plus important qu’en Inde. La Chine profite d’une diaspora plus nombreuse et plus riche. Elle a également réservé le meilleur accueil aux entreprises étrangères, en partie pour éviter de créer sa propre classe de capitalistes. Tarun Khanna reconnaît qu’il pourrait y avoir actuellement un certain changement. Mais, aux côtés de son collègue Yasheng Huang, il écrit dans la revue Foreign Policy : « On aurait du mal à trouver une seule entreprise créée par un Chinois qui opère à l’échelle mondiale et commercialise ses propres produits à l’étranger. »
L’Inde a pendant quelque temps délibérément écarté les investissements étrangers. Et n’en a guère attiré depuis qu’elle a changé de position. Mais, remarquent les professeurs, elle a quelque chose que la Chine n’a pas : « des entreprises capables de rivaliser avec ce que l’Europe et les États-Unis peuvent offrir de mieux ». Ainsi de la société de logiciels Infosys Technologies et, pour la pharmacie, des Dr. Reddy’s Laboratories. L’Inde n’a pas les structures matérielles d’une économie moderne, mais elle en a davantage les institutions – par exemple, les tribunaux et le système financier – que la Chine. Conclusion des deux professeurs : « Ses entrepreneurs formés au pays peuvent donner à l’Inde un avantage à long terme sur une Chine handicapée par ses banques inefficaces et les marchés de capitaux. »
Le pronostic, on s’en doute, n’a pas déplu aux Indiens. Leur article de Foreign Policy a été largement cité ou reproduit dans la presse indienne, pas toujours avec une autorisation explicite (il faudrait peut-être rappeler aux Indiens que la propriété intellectuelle, ça existe). Les Chinois, croit savoir Khanna, le traduisent et le font circuler discrètement, sous le manteau.
Mais Yasheng Huang et Tarun Khanna ont-ils raison ? Aucune généralisation sur des pays aussi immenses et divers ne peut être juste à 100 %. Et aucune comparaison entre les deux ne peut faire oublier le fait que l’un et l’autre s’en sont beaucoup mieux tirés depuis qu’ils ont changé de stratégie économique – la Chine en 1978, l’Inde en 1991.
La vraie question se ramène à ceci : l’Inde peut-elle rattraper la Chine dans les vingt ans qui viennent, de telle manière que davantage d’Indiens soient moins pauvres, et qu’elle dépasse la Chine sur le terrain mondial de la compétitivité ?
Les professeurs Khanna et Huang le pensent. D’autres observateurs sont sceptiques. « Ils ont tort de considérer que la Chine s’engage sur la mauvaise route, explique Sunil Dasgupta, de la Brookings Institution, un think-tank de Washington. Elle est déjà plus riche que l’Inde, qui va s’essouffler à lui courir après pendant vingt ans. »
Mais Joydeep Mukherji, qui suit l’Inde et la Chine pour l’agence de notation Standard and Poor’s à New York, abonde dans le sens des deux professeurs. Chiffres à l’appui, il constate que le miracle chinois est moins brillant que ne le dit la presse. La part faite de l’exagération des statistiques officielles, la Chine a peut-être un taux de croissance annuelle moyen de 7 % sur les dix dernières années ; l’Inde de 6 %. La Chine, en tant que pays, épargne environ 40 % de son revenu, et l’investit, en plus de l’investissement étranger. L’Inde épargne environ 24 % du sien, et n’attire que relativement peu d’investissements étrangers.
Ainsi, en simplifiant, la Chine est comme une entreprise qui investit 40 dollars (35 euros) et en retire 7 dollars par an. L’Inde investit 24 dollars et gagne 6 dollars par an. « En Chine, dit Mukherji, des sommes énormes sont gaspillées, en particulier l’argent investi par le gouvernement. Il n’est pas normal qu’un pays aussi grand et qui épargne autant dépende tellement de l’investissement étranger. » C’est la clé de son succès, mais cela souligne aussi la mauvaise utilisation qui est faite de l’investissement interne. Environ la moitié des prêts accordés par les banques chinoises ne seront jamais remboursés : une bonne partie de l’épargne chinoise a été dilapidée.
« L’Inde fait mieux fructifier son argent, explique Mukherji. Ses banques ont accordé moitié moins de crédits que celles de la Chine. Ma conclusion à moi, c’est que si l’Inde peut accroître légèrement son épargne et son investissement, elle pourra augmenter rapidement son taux de croissance. »
Ce « si » revient souvent dans les commentaires sur l’Inde, et il est important. Il se peut que Yasheng Huang et Tarun Khanna se montrent de piètres prévisionnistes. Mais ils n’ont pas tort de jeter un regard sceptique sur la durabilité du miracle économique chinois et d’attirer l’attention sur le potentiel de croissance et de compétitivité de l’Inde, souvent sous-estimé.

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