Cotonou vit dans un nuage

L’atmosphère de la capitale économique est devenue irrespirable. La prolifération des taxis-motos est directement mise en cause.

Publié le 21 octobre 2003 Lecture : 4 minutes.

Il y a deux catégories sociales à Cotonou : ceux qui roulent en voiture climatisée et les autres. Si les premiers sont relativement épargnés par la pollution atmosphérique, les seconds ne peuvent que s’en remettre à leur dieu. En ce mois de septembre, ce n’est pas une canicule soudaine qui révèle brutalement l’étendue du mal : ville côtière, la métropole béninoise est loin de faire partie des endroits les plus chauds de l’Afrique de l’Ouest. Non, la pollution atmosphérique n’est pas ici un phénomène nouveau, et le vent marin n’arrive pas à dissimuler la fumée bleuâtre, noirâtre ou grisâtre – tout dépend de « l’humeur du jour » de l’huile de moteur – qui rend l’air irrespirable dans les artères les plus fréquentées de la cité. À vrai dire, les Cotonois n’y font plus tellement attention. Ils s’affairent des premières lueurs de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit comme si leurs bronches avaient fini par s’accoutumer aux vapeurs de monoxyde de carbone (CO) et autres gaz polluants.
Selon le ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme, « il est émis chaque jour au Bénin 83 tonnes de monoxyde de carbone, dont 49 tonnes par les deux-roues (Dakar et Ouagadougou affichent respectivement 50 tonnes et 64 tonnes de CO par jour). Ces émissions de gaz toxiques provoquent notamment le cancer du poumon, les infarctus, les céphalées, les vertiges, etc. Quant à l’intoxication au plomb, elle coûte au Bénin 20 milliards de F CFA (30,5 millions euros) par an, soit 1,2 % du Produit intérieur brut (PIB). »
Ces annonces ont été faites le 19 mars dernier à l’occasion d’un atelier sur l’impact des taxis-motos sur le transport urbain et la pollution atmosphérique. Les fameux zémidjans – littéralement « transporte-moi vite » en langue fon – sont aux premières places sur le banc des accusés. Leur nombre, en constante progression, donne le tournis. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) estime que le pays compte près de 120 000 hommes à la camisole jaune. Dans les rues de Cotonou, grandes avenues comme ruelles des quartiers populaires, les zémidjans ont quasiment tué les taxis traditionnels, palliant l’absence d’un réseau de transport collectif organisé.
La pollution de l’air est un fléau particulier à Cotonou. Selon une étude de la Banque mondiale datée de 2001, la concentration en monoxyde de carbone en campagne est dix fois moins élevée qu’aux principaux carrefours de la capitale économique. L’étude confirme que le transport est de loin la première cause du mal, le secteur industriel étant peu développé. Outre l’abondance des véhicules à deux roues, la cité se distingue par un parc automobile dominé par les « venues de France », ces voitures d’occasion bannies des routes européennes. La majorité d’entre elles affiche plus de dix ans d’âge (la moyenne est estimée à 12,5 ans). La piètre qualité du carburant utilisé n’arrange rien. Le particularisme de Cotonou vient aussi de ces tablettes, au bord des rues, sur lesquelles s’exposent d’énormes bouteilles d’essence importée illégalement du Nigeria. Le précieux liquide provient certes des stations du géant voisin, mais les manipulations des contrebandiers – et le dosage approximatif en huile de moteur pour les engins à deux roues – aboutissent à un résultat désastreux.
Pour preuve : la fumée qui s’échappe des pots d’échappement, lorsque démarrent en trombe les zémidjans, les mobylettes particulières, les « venues de France » et les vieux camions.
À défaut de trouver des solutions, les pouvoirs publics semblent au moins avoir pris la mesure du problème. Dans les locaux flambant neufs de l’Agence béninoise pour l’environnement (ABE), situés en bord de mer, à l’abri de la pollution du centre-ville, on essaie de mettre en oeuvre tant bien que mal le plan d’action environnemental du gouvernement. Du côté du ministère de l’Environnement, on estime que « le phénomène de la pollution atmosphérique s’est stabilisé » et que les mesures adoptées – formation de mécaniciens pour mieux régler les moteurs, contrôles des gaz d’échappement par les inspecteurs de la police environnementale, lancement d’opérations « pollueur payeur » – ont permis de réduire le taux de monoxyde de carbone de 25 % aux principaux carrefours.
Il sera pourtant difficile de soulager davantage les poumons du million d’habitants de Cotonou sans une réorganisation totale des transports et sans une stricte réglementation de l’importation des voitures d’occasion, deux dossiers politiquement sensibles. Il y a cinq ans, le président Kérékou suggérait aux conducteurs de zémidjans, souvent des diplômés sans emploi, d’« aller cultiver le manioc au village ». La plaisanterie n’a pas fait rire tout le monde. Le lobby des camisoles jaunes, bien organisé, est plus puissant que jamais. En démocratie, cela compte. Aujourd’hui, le gouvernement béninois, sous la pression des autorités nigérianes, menace de mettre fin au trafic d’essence entre les deux pays, suscitant une vive émotion chez les milliers de familles qui vivent de la contrebande. Difficile d’imaginer aussi, dans un proche avenir, une action résolue pour contenir l’expansion anarchique du trafic des voitures d’occasion.
En attendant la mise en service de neuf lignes de bus, annoncée sur le site Internet du ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme dirigé par Luc-Marie Gnacadja, tous les espoirs reposent sur l’amélioration du réseau routier, résultat des travaux en cours dans toute la ville. Attendu aussi avec la décentralisation, un partenariat constructif entre l’État et la mairie, aux mains de l’ancien président Nicéphore Soglo. D’ici là, les Cotonois devront s’en tenir au geste qui sauve : franchir à tout prix les ponts qui enjambent la lagune avant le démarrage des poids lourds à 9 heures du matin. Sauf à aimer deviser pendant deux heures, bloqués dans les embouteillages, sur l’exacte couleur de la fumée qui flotte délicatement dans l’air.

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