Une solide quadragénaire

Fondée au lendemain des indépendances, la BAD fête aujourd’hui ses 40 ans. Si elle a longtemps souffert des interférences politiques, elle remplit aujourd’hui sa mission dans le développement du continent avec un certain brio.

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 6 minutes.

« L’Afrique dispose aujourd’hui d’une institution dont elle peut, à juste titre, s’enorgueillir. » L’institution, c’est la Banque africaine de développement (BAD), créée dans la foulée de la décolonisation pour contribuer au développement économique et social des pays africains « individuellement et collectivement ». Les propos sont ceux du Marocain Omar Kabbaj, son président, lors de la célébration du quarantième anniversaire de la BAD du 12 au 15 septembre à Tunis. Connu pour sa rigueur, Kabbaj n’est pas homme à céder au lyrisme. Son jugement est approuvé par plusieurs chefs d’État occidentaux et africains, mais aussi par plusieurs représentants des institutions financières internationales et régionales (voir encadré).
Ses propos reposent également sur les résultats obtenus à la suite d’une évolution qui n’a pas été exempte de crises et qui, très probablement, n’aurait pas abouti à ce résultat positif sans la décision, prise en 1982, d’accueillir des États étrangers parmi les actionnaires africains, dont les moyens ne permettaient pas de répondre aux besoins considérables de financements à travers le continent. La présence de pays développés comme ceux d’Europe, des États-Unis et du Japon a apporté de l’argent frais (environ 7 milliards de dollars) et a considérablement amélioré la transparence et la bonne gouvernance de la BAD.
D’un capital initial autorisé de l’ordre de 250 millions d’unités de compte(*) (environ 370 millions de dollars) souscrit au départ par 33 pays africains, la BAD affiche aujourd’hui un capital de 21,5 milliards d’unités de compte (32,5 milliards de dollars) avec 53 États africains et 24 non Africains des Amériques, d’Asie et d’Europe. Le prix en a été que désormais, et même si les africains sont numériquement majoritaires, les non-Africains ont un pouvoir de veto.
Durant les deux premières décennies, les activités de la BAD ont plutôt été modestes, malgré l’augmentation des ressources mises à sa disposition du fait de la création, dans la foulée du boom pétrolier, des guichets concessionnels ou sans taux d’intérêt du Fonds africain de développement en 1973, et du fonds spécial du Nigeria en 1976.
L’entrée d’actionnaires étrangers n’a pas eu d’effets positifs dans un premier temps, et a même été associée, entre 1990 et 1995, à la première grande crise de la BAD. Les nouveaux actionnaires non africains trouvaient insupportable l’accumulation des impayés de pays non solvables qui avaient sollicité des prêts non concessionnels (taux d’intérêt proches de ceux du marché). C’est ce qui avait sapé l’assise financière de la banque, et entraîné la perte de la note AAA que lui avait attribuée l’agence de notation américaine Standard & Poors. Des lacunes dans la gestion interne des ressources financières et humaines avaient aussi été relevées. À l’époque président de la BAD, Babacar N’Diaye écrivait alors au conseil d’administration qu’il était au regret de l’informer que la majorité des directeurs exécutifs « n’avaient pas l’étoffe pour continuer à occuper leurs positions » et que les gouvernements africains « corrompus » en étaient la cause.
En clair, comme c’est souvent le cas sur le continent, la gestion de la BAD était purement politique. C’est ce qu’a confirmé un rapport d’experts de 1994, connu sous le nom de « rapport Knox » du nom du vice-président de la BAD David Knox, qui dénonçait une culture de l’approbation qui se substituait à celle de la qualité des projets, notamment aux plans environnementaux, sociaux, et de rentabilité.
Cette crise a abouti à ce que Kabbaj a nommé le « hiatus » de 1994-1996, au cours duquel, et pour la première fois, il n’y a pas eu de nouvelles activités de prêts non concessionnels financés sur le guichet BAD, tandis que les négociations sur la cinquième augmentation générale du capital ont été reportées. La BAD va couler, disait-on alors. « Il y a le feu ! » titrait J.A.I. dans un éditorial qui expliquait : « Pourquoi sauver la BAD ? Parce que, sans elle, le redressement des économies africaines sera beaucoup plus long, tributaire du bon vouloir – et le cas échéant des erreurs – de la Banque mondiale… »
C’est dans ce contexte qu’a été élu à la tête de la BAD, le 26 août 1995, cet homme à poigne qu’est Omar Kabbaj. « La Banque africaine de développement doit se comporter comme une banque », a-t-il lancé pour engager un plan de réformes drastiques qui allait sauver l’institution, tandis que la part des États actionnaires non africains passait du tiers à 40 % du capital.
La première mesure de Kabbaj a été de mettre fin aux nominations « politiques » consistant, pour un chef d’État africain représenté au conseil d’administration de la BAD, d’y « caser » un ami ou d’y placer un rival gênant. Son mot d’ordre : recruter des professionnels, et rien que des professionnels.
Puis la Banque s’est dotée d’une « Vision » adoptée en 1999, et d’un plan stratégique approuvé fin 2002, élargissant ses priorités qui, outre l’agriculture et les infrastructures, comportent désormais la réduction de la pauvreté, la création d’emplois, l’assistance aux pays sortant d’un conflit armé, et le financement du secteur privé. Pour ce faire, les pays membres de la BAD ont plus d’autonomie dans la conception de leurs « stratégies-pays ». Ils s’approprient leurs politiques et leurs programmes, et, à cet égard, l’ouverture de 25 bureaux décentralisés de la BAD a été programmée. Les populations seront également consultées à propos de l’impact des projets sur leurs modes de vie. Le secteur privé pourra désormais avoir accès aux prêts de la BAD. L’assise financière du groupe a été renforcée grâce au nettoyage du portefeuille de la Banque, de la gestion prudente du budget et des dépenses administratives. Le revenu net des opérations de la BAD est passé de 80 millions de dollars en 1994 à 265 millions de dollars en 2003. Les arriérés dans l’endettement des États ont été réduits de 39 %, passant de 1,1 milliard d’unités de compte en 1995 à 0,677 milliard d’unités de compte en 2003. Les projets classés comme « difficiles », ou « à problèmes », qui représentaient 35 % du portefeuille de la Banque en 1995, sont tombés à moins de 10 % fin 2003.
Parallèlement, la BAD a modernisé son système informatique, en passant des postes de travail individuels avec des ordinateurs obsolètes en 1996 à un système intégré et ultramoderne connu sous le nom de SAP et qui a permis d’opérer, sans retard et à la grande surprise des experts de la Banque mondiale, le transfert des opérations d’Abidjan à Tunis, en février 2003.
Meilleure preuve de l’impact de ces réformes : la distinction accordée par les agences internationales de notation aux lancements d’emprunts de la BAD pour accroître ses ressources. Le top du top a été la cotation AAA. Rétrogradée en 1995 pour suspicion de corruption et fraudes, la BAD, en retrouvant la note AAA de Standard & Poors et d’autres agences, est devenue la seule institution financière africaine à bénéficier d’une telle note.
Le drame est qu’avec une institution financière d’un tel niveau à l’échelle internationale, la pauvreté en Afrique persiste, du fait du manque d’investissements. Kabbaj en convient et considère qu’il faut davantage d’efforts pour atteindre les objectifs du millénaire en 2015 (réduction de moitié de l’extrême pauvreté). « Malgré les innombrables réalisations enregistrées au cours des quarante dernières années, nous ne pouvons pas nous permettre de nous endormir sur nos lauriers, déclare-t-il. Nous devons nous appuyer sur les bases que nous avons jetées pour faire en sorte que la Banque devienne véritablement la première institution de financement de développement du continent – une institution capable non seulement de subvenir à une part importante des besoins de financement de ses clients, mais encore d’imprimer une orientation pour ce qui est des questions de développement en Afrique. »

*1 unité de compte BAD = 1 DTS (unité de compte du FMI) = 1,48597 dollar (moyenne 2003).

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