Que peut obtenir l’opposition ?

Une série de revendications consignées dans un mémorandum, un plan de sortie de crise… Les adversaires du régime multiplient les offres de dialogue. Et s’exaspèrent du silence présidentiel.

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 6 minutes.

L’opposition guinéenne a jusqu’ici fait chou blanc. Ni la remise sur les rails du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad, regroupement des principaux partis opposés au régime), ni la publication le 14 juillet d’un « Plan de sortie de crise » proposant le départ de Conté et la mise en place d’une transition, ni le soutien de tout ou partie de la communauté internationale (à commencer par l’Union européenne)… rien n’y a fait. Le chef de l’État, Lansana Conté, persiste à réagir par un « niet » catégorique à toutes les revendications de ses opposants.
Tout au plus consent-il un petit geste en direction de l’Union européenne : accepter d’envoyer en juillet une délégation à Bruxelles, et se voir remettre en retour des « recommandations » dont il juge, seul, de l’opportunité ou non de les suivre.
Ce qu’elle n’a pu obtenir avant le rendez-vous bruxellois, l’opposition ne l’a pas davantage aujourd’hui. Même si plusieurs facteurs sont réunis, qui doivent jouer en sa faveur : la maladie du président ; les difficultés économiques de tous ordres ; le front commun des syndicats, de la société civile et de personnalités influentes pour critiquer le régime ; le renforcement du Frad rejoint, fin juillet, par l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) du redoutable « débatteur » Jean-Marie Doré…
Tout reste toutefois figé. Les deux camps semblent braqués.
Le 7 septembre, le Parti de l’unité et du progrès (PUP), au pouvoir, a tenté la médiation, en prenant l’initiative de rencontrer le Frad. Le PUP cherchait à faire revenir le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé, l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Mamadou Bâ, l’UPG de Jean-Marie Doré… sur leur décision de boycotter « le dialogue politique national ». Après une interruption en septembre 2003 à la suite des désaccords sur les conditions d’organisation de la présidentielle du 21 décembre 2003, ce « dialogue national » a été relancé le 31 août par le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Kiridi Bangoura. Revenu – motivé – de l’examen de passage du gouvernement guinéen devant la Commission européenne, les 20 et 21 juillet dernier, Bangoura multiplie les signes de bonne volonté pour renouer les fils du dialogue politique, un des préalables au déblocage de l’aide de l’Union européenne à la Guinée.
Il trouve face à lui une opposition déçue dans ses attentes, rétive à « coopérer ». « Les discussions entre l’ensemble des partis politiques avaient abouti au mémorandum du 15 septembre 2003, a martelé le Frad au PUP le 7 septembre. Il ne reste plus qu’à appliquer ce texte. La balle est dans le camp du gouvernement, qui doit produire un calendrier d’exécution. » La réaction, mezza voce, de la formation présidentielle en dit long sur les maigres chances de satisfaction de cette requête : « Aidez-nous dans le travail d’explication, pour faire évoluer le chef de l’État sur vos revendications récurrentes comme la libéralisation des ondes et la mise en place d’une commission électorale indépendante. »
Une délégation du PUP, dirigée par le secrétaire général Sékou Konaté, s’était en effet fait sèchement éconduire quelques jours plus tôt, pour avoir tenté de convaincre Lansana Conté de faire des concessions en vue de décrisper le climat politique dans le pays. À en croire l’entourage du chef de l’État, le numéro un nigérian et président en exercice de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo, général dans une autre vie, a tenté de « raisonner » son frère d’armes, lors de son passage à Conakry, le 3 septembre, à l’occasion du sommet de la seconde Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO). Mais il n’a pas trouvé chez son hôte une volonté d’aller très loin dans la discussion.
L’opposition doit donc jusqu’ici se satisfaire de simples gestes de bonne volonté à un niveau ministériel. Depuis la démission, le 29 avril, de l’ex-Premier ministre François Lonsény Fall, le chef de l’État ne donne à aucun des membres de son gouvernement l’occasion d’aborder avec lui la question – cruciale aux yeux des bailleurs de fonds – de la libéralisation des ondes.
Comme pour consoler une opposition totalement exclue des médias publics, la ministre de l’Information, Aïssatou Bella Diallo, a adressé en août une correspondance au Frad. Elle l’informe de sa volonté de créer deux nouvelles émissions politiques à la télévision nationale (« Le Grand Débat » et « Tribune »), mais aussi d’ouvrir « Sans tabou », une émission déjà existante, aux leaders de l’opposition. Elle n’a pas réussi à convaincre ses interlocuteurs, déterminés à se doter de radios privées, comme il en existe dans les pays voisins de la Guinée (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire…).
À défaut de réels acquis, l’opposition gagne du temps avant la tenue de la prochaine échéance électorale. Les élections communales, prévues pour décembre 2004, ont été repoussées à juin 2005. D’ici là, les partis qui ont répondu à l’appel de Bangoura (le PUP et ses satellites ainsi que l’Union pour le progrès et le renouveau du défunt Siradiou Diallo) vont tenter de s’accorder sur des propositions à soumettre au gouvernement. Si on ne peut préjuger des résultats de ce conclave, nul doute que celles de ses résolutions qui iront à l’encontre des « refus » traditionnels de Conté (libéralisation des ondes, création d’une commission électorale nationale indépendante, neutralité de l’administration…) resteront lettre morte.
Face au blocage persistant, caractérisé par un pouvoir autiste, une opposition impuissante et une situation économique préoccupante – le prix du sac de riz de 50 kg oscille aujourd’hui entre 80 000 et 100 000 francs guinéens (GNF, entre 26 euros et 31 euros), soit plus que le salaire moyen dans le pays -, d’autres leviers de contestation émergent. Spontanément.
Les sept principales centrales syndicales du pays sont brusquement sorties de leur torpeur, le 18 août. Dans une déclaration peu amène, elles se sont attaquées à la décision prise par le gouvernement, cinq jours plus tôt, d’augmenter de 66,6 % les prix à la pompe des produits pétroliers (le litre d’essence est passé de 1 500 à 2 500 GNF, et le gasoil de 1 300 à 2 300 GNF). Les syndicats sont allés au-delà des simples revendications catégorielles, pour fustiger « le manque de transparence dans la gestion des ressources en devises de la Guinée résultant des exportations de produits miniers qui échappent totalement au système bancaire guinéen ».
Dans un registre beaucoup plus dur, un mouvement clandestin a lancé, le 17 août, un appel à la révolte pris très au sérieux par le gouvernement. Dans un tract largement diffusé à Conakry, le Mouvement des jeunes partisans du changement (Mojepac, créé en 1998 par un enseignant du nom de Aly Mané aujourd’hui entré dans la clandestinité) a tranché : « La seule voie qui reste aux Guinéens pour sortir de cette crise reste et demeure la révolte générale de l’ensemble des forces vives de la nation. »
Comme pour pallier l’incapacité de l’opposition traditionnelle à contrer efficacement un régime à bout de souffle, des voix s’élèvent de plus en plus dans la société civile et parmi les personnalités du pays. Ainsi de Mamadi Diané, prospère homme d’affaires guinéen installé aux États-Unis, dont la « lettre ouverte à Lansana Conté » défraie la chronique à Conakry depuis fin août. Ainsi également de l’ex-Premier ministre François Lonsény Fall, qui est volontiers sorti du mutisme dans lequel il s’était enfermé depuis sa démission. Dans un « Forum » paru le 29 août dans Jeune Afrique/l’intelligent (n° 2277), Fall a livré son diagnostic des maux de la Guinée, puis proposé des solutions.
Une sortie dans laquelle nombre d’observateurs ont vu une sorte de profession de foi politique. Franchira- t-il le Rubicon ? Restera-t-il en réserve de la République pour pouvoir, le cas échéant, jouer un rôle dans une transition ? Les questions ne manquent pas au sujet d’un « préretraité » de 55 ans qui a passé les derniers mois à rencontrer les communautés guinéennes résidant aux États-Unis, en France, et dans certains pays africains, mais aussi à échanger avec des leaders de l’opposition en Guinée (Sidya Touré, Alpha Condé…), ainsi qu’avec des personnalités du continent et d’ailleurs.

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