Pétrole africain

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Je vous invite à réfléchir avec moi à la situation nouvelle créée par la conjonction des facteurs énumérés ci-dessous :
– Nous sommes entrés dans une ère où, de l’avis de tous les experts, le pétrole sera cher, voire très cher (même si en dollars constants – inflation déduite -, son prix actuel n’a pas encore atteint les sommets des années 1980).
– Il est et restera pour de très longues années la source principale d’énergie de la planète. Pour nombre de pays dont la plupart sont pauvres, c’est la source d’énergie unique et importée dans sa totalité.
– Les pays développés se sont organisés, eux, pour consommer beaucoup moins de pétrole par richesse produite qu’il y a un quart de siècle : ils souffrent peu de son renchérissement puisqu’ils n’importent plus qu’un baril là où ils devaient en importer deux.
De cette situation, il découle qu’ils supporteront sans dommage sensible et sans pousser de hauts cris un baril à 50 dollars.
Mais leurs grands experts, tel le célèbre Daniel Yergin, soulignent que « ce serait une erreur de sous-estimer l’effet d’un pétrole cher sur l’économie mondiale, même si cet effet est jusqu’ici peu perceptible ».

En revanche, dans les pays pauvres et importateurs de leur consommation de pétrole, comme le Maroc ou l’Inde, et comme deux sur trois des pays d’Afrique subsaharienne, un baril à 50 dollars sera ressenti comme un fardeau insupportable :
Dès l’année prochaine, leurs budgets et leurs balances des paiements en seront gravement déséquilibrés.

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Cela posé, j’en arrive à la situation particulière du continent africain, une très grande île d’un milliard d’hommes et de femmes répartis sur plus de cinquante pays.
Le facteur nouveau pour ce continent est qu’il compte désormais :
– Une douzaine de pays producteurs et exportateurs dont certains, comme le Tchad, la Guinée équatoriale ou le Soudan, sont des nouveaux venus.
– Quelques pays dont la production couvre en gros la consommation.
Dans son ensemble, l’Afrique subsaharienne produit entre 4 et 5 millions de barils/jour, soit 50 % de la production saoudienne ou russe, et représente déjà pour les États-Unis 20 % de leurs importations.
– Et, last but not least, une vingtaine de pays où de grandes compagnies internationales prospectent activement avec, pour certains d’entre eux, comme São Tomé ou la Mauritanie, une annonce d’exploitation proche, voire imminente.
Il revient à l’Union africaine, me semble-t-il, dès lors qu’elle est en charge du destin du continent, d’organiser (sans trop tarder) une réflexion sur la situation nouvelle créée par le prix durablement élevé du pétrole et, simultanément, par l’entrée de l’Afrique dans le club des grandes régions exportatrices, où l’exploration suscite espoirs et convoitises, et dont les réserves comptent de plus en plus (on les évalue à quelque 100 milliards de barils).

Comme dans le monde arabe d’hier et d’aujourd’hui, le pétrole a été jusqu’ici, en Afrique, source d’inégalités effrayantes, de corruption et d’assujettissement à l’étranger, de guerres et de coups d’État.
L’argent qu’il a déversé sur les États et les individus a rarement été bien utilisé, et le gaspillage auquel il a donné lieu n’a pas fini de scandaliser.
Quant à la richesse engendrée par ce pétrole, elle n’a suscité aucune solidarité à l’intérieur des nations exportatrices, encore moins entre pays (qu’ils soient arabes ou africains). Et que pourront faire les générations de l’après-pétrole, sinon maudire pour leur égoïsme celles qui les ont précédées ?

Il nous faut nous attaquer à cette situation déplorable pour, dans le cadre de l’Union africaine, tenter de corriger ce qui doit et peut l’être.
Compter sur la Banque mondiale pour le faire à notre place – elle s’y essaie au Tchad – serait, au sens littéral du terme, une forfaiture.

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