[Tribune] Avec la Tunisie, enfin un pays du Maghreb qui célèbre l’abolition de l’esclavage
Ce 23 janvier 2020, la Tunisie est le premier pays du Maghreb et le deuxième pays du continent africain à célébrer l’abolition de l’esclavage. En attendant une loi déclarant crime contre l’humanité cette exploitation de l’homme par l’homme.
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Karfa Diallo
Conseiller régional Nouvelle-Aquitaine, fondateur-directeur de l’association Mémoires et partages.
Publié le 23 janvier 2020 Lecture : 3 minutes.
C’est le défunt président Béji Caïd Essebsi qui l’avait annoncé le 23 janvier 2019, au palais de Carthage. La Tunisie est le premier pays du Maghreb à instituer une journée nationale de l’abolition de l’esclavage.
En devenant ainsi le deuxième pays du continent africain, après le Sénégal, en 2010, à s’incliner devant la mémoire des millions de Subsahariens déportés et mis en esclavage, la Tunisie brise un tabou, répare une injustice et s’engage à lutter contre les formes contemporaines de racismes et d’exploitation.
Un tabou brisé
Le choix de cette date rend hommage au décret d’abolition pris par le bey de Tunis, Ahmed 1er, le 23 janvier 1846. Cet événement, historique en Afrique mais trop souvent oublié, avait été « préparé » en août 1842, lorsque le bey, avec le soutien des religieux, avait fermé le marché aux esclaves de Tunis et proclamé la liberté de « toute personne née dans le pays ».
Le 23 janvier 1846, donc, l’abolition totale est décidée dans tout le pays par un décret qui n’a pas été entièrement respecté. Cela a justifié une deuxième abolition, le 28 mai 1890, de la part de son successeur, Ali Bey III, qui a prévu des sanctions pénales pour les contrevenants.
Même si ces abolitions sont restées formelles, la traite et l’esclavage des Noirs continuant jusqu’au XXe siècle, ces deux décisions témoignent d’une prise de conscience de l’injustice d’un commerce des Noirs qui remonte à la naissance de l’islam.
Les princes du monde arabe traversaient le Sahara ou la mer Rouge pour se pourvoir en main d’œuvre dans le réservoir du sous-continent subsaharien
En effet, dès le VIIe siècle les princes du monde arabe traversaient le Sahara ou la mer Rouge pour se pourvoir en main d’œuvre dans le réservoir du sous-continent subsaharien.
Dix à quinze millions de Subsahariens vont alors connaître les affres de la capture, de la déportation et de l’esclavage comme eunuques, domestiques, concubines, soldats et mineurs, pour les plaisirs et la prospérité de riches bédouins.
Quatorze siècles de massacres que l’économiste Tidiane Ndiaye qualifiera de « génocide voilé » dans son ouvrage publié exactement un an après celui du premier intellectuel maghrébin à s’attaquer à ce tabou, Malek Chebel, L’esclavage en terre d’islam, en 2007.
Une injustice à réparer
La confusion entre l’islamisation et l’arabisation est pour beaucoup dans ce tabou. Les pays du monde musulman, Afrique comprise, questionnent également peu des questions telles que les alliances au moment des décolonisations et de la lutte contre le racisme en Occident, ou la traite, le racisme anti-noir et l’esclavage arabo-musulman.
Pourtant la présence ancienne et l’influence des Noirs dans le Maghreb, le Proche et le Moyen-Orient est attestée par les études historiques les plus récentes. Et pour la première fois, un documentaire d’envergure tel que « Les routes de l’esclavage » (produit par Arte en 2018) esquisse une vision globale d’un phénomène au long cours.
Au sud de ces pays vivent, aujourd’hui encore, ces Noirs méprisés et traités de « kahlouche » (« nègres ») ou « abids » (« esclaves »), très souvent abandonnés par les États au racisme et aux discriminations sans fard qui s’abattent aussi sur les nombreux étudiants et travailleurs subsahariens maltraités dans l’indifférence générale.
À cela s’ajoutent les nombreux migrants en transit vers l’Europe, exploités par des filières mafieuses locales, qui viennent s’échouer régulièrement au large des côtes africaines et européennes.
On peut encore avoir en mémoire le fameux « zoo de Misrata » et ses images de ventes de migrants en Libye, « le cimetière pour esclaves » de Djerba, les commentaires racistes sur la Miss Algérie 2019 ou les milliers de domestiques noires brutalisées et privées de papiers au Liban.
Ou encore la Mauritanie et le Soudan, déchirés par des conflits résurgents reposant sur une histoire nationale non égalitaire.
Ce sont ces injustices que la Tunisie devrait réparer ce 23 janvier, ne serait-ce que symboliquement, par cette première journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Depuis le « printemps arabe », ce pays est l’un des plus engagés dans la lutte contre le racisme.
Après l’important travail de mémoire sur la traite des Noirs entrepris par les nations occidentales (lois, musées et initiatives de la société civile) et de plus en plus en Afrique subsaharienne (première loi africaine au Sénégal et nombreux lieux de mémoire), il importe que le Maghreb et le monde arabe ouvrent ce chapitre de leur histoire pour dessiner un quotidien plus humain au profit de leurs minorités.
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