Mauritanie : retour à la case putsch ?

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

La Mauritanie vient de vivre, en moins de quinze mois, la troisième manoeuvre tournant autour d’une prise du pouvoir par la force. Pourtant, elle semblait bien révolue, cette culture des coups d’État et des coups de force, condamnée par la communauté internationale et pratiquement disparue des mentalités au niveau interne.
Près de vingt années d’exercice et d’apprentissage démocratiques avaient contribué à faire naître une certaine idée du pouvoir comme émanation de la volonté du peuple, et jamais la représentation populaire n’a été aussi effective dans l’histoire du pays, avec en prime l’apparition et la consolidation d’une société civile active.
Ce mouvement s’est accompagné d’une volonté d’ouverture du pouvoir qui a amorcé un dialogue constructif avec l’opposition modérée débouchant sur des réformes essentielles visant à garantir la transparence des élections.
Au plan économique et social, la Mauritanie n’est pas dans l’impasse. Bien que la pauvreté demeure une réalité, force est de constater que l’évolution globale est largement positive : les grands projets initiés ont permis au pays de se doter en peu de temps des infrastructures de base essentielles, les projets de développement à la base et la généralisation de l’enseignement, y compris pour les adultes analphabètes, ont contribué à réduire les inégalités sociales, et la perspective de l’exploitation imminente du pétrole vient conforter cette lancée positive. N’est-il pas paradoxal, dans ce contexte porteur, d’assister à une résurgence des putschs, à une irruption du recours à la force brutale comme moyen d’accession au pouvoir ?

N’est-il pas choquant, de surcroît, de voir une certaine partie de l’opposition politique, principalement à l’extérieur, agiter le spectre de la « guerre civile », de la « confrontation inévitable » ou appeler à l’usage de la force armée pour renverser le régime, prenant ainsi le contre-pied de tous les principes élémentaires de démocratie dont, pourtant, elle se réclame ?
En réalité, ces paradoxes ne sont pas qu’apparents. Ils plongent leurs racines aux sources mêmes de la culture et de l’anthropologie des pays en développement, principalement en Afrique.
La notion d’État moderne et central y est relativement nouvelle et en phase de consolidation. La démocratie, forme de régulation du pouvoir à l’intérieur de l’État, est d’apparition encore plus récente.
L’État (qui est l’expression la plus large de l’intérêt général) et la démocratie (qui est la gestion formelle de cet intérêt général) se heurtent inévitablement à tous les particularismes et à toutes les forces centrifuges qui se réfugient dans les schémas archétypaux des périodes préétatiques et reproduisent une pensée primitive baignant dans une espèce de paganisme politique. On assiste alors à une résurgence de forces obscures et souterraines : la tribu, l’ethnie, la lutte des clans, etc. Des fonds subliminaux de l’inconscient surgit la tentation de l’irrationnel. Dans un entêtement suicidaire, on tourne le dos à la modernité, on se prend au piège des peurs et des fantasmes.
Cette vision cyclique et païenne de l’histoire est à l’origine de nombreux conflits en Afrique. Les politiques s’en servent pour semer le trouble et créer des raccourcis vers le pouvoir. Une partie de l’opposition mauritanienne, trop vite déçue par ses échecs électoraux, s’y essaie désormais.

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Face à cette doctrine de l’Irrationnel, il y a le camp de la Raison, qui veut que l’évolution du pays suive des repères balisés, que le pouvoir soit le fruit d’un choix populaire pacifique et démocratique, que les acquis en matière de construction étatique et d’expérience démocratique soient sauvegardés et renforcés, que le dialogue politique soit poursuivi et approfondi, que le développement économique et social soit patiemment construit. Le postulat est simple : l’histoire des nations ne s’accélère pas, elle suit son propre rythme, lent et impersonnel ; l’essentiel est d’imprimer à ce mouvement la marque du progrès.
Le choc entre ces deux visions était déjà nettement perceptible au lendemain du coup d’État sanglant de juin 2003. C’est pourquoi un grand nombre d’intellectuels s’étaient mobilisés pour soutenir le président Ould Taya, qui incarnait alors ce choix de la Raison.
Par cette mobilisation sans précédent, ils exprimaient clairement leur attachement à un avenir sécurisé caractérisé à la fois par la stabilité, la transparence et l’ouverture. Les raisons qui ont présidé à ce soutien demeurent plus que jamais d’actualité : face aux dérives irrationnelles, face à la tentation du chaos, la Raison reste le recours le plus sage.

* Professeur Initiative du pacte républicain, Nouakchott, Mauritanie.

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