Massouda et les seigneurs de guerre

Grand favori de la présidentielle du 9 octobre, le chef de l’État sortant, Hamid Karzaï, affrontera seize candidats. Et une candidate…

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Depuis qu’elle a jeté son burqa aux orties, Massouda Jalal s’expose. Elle reçoit dans le modeste immeuble de la banlieue de Kaboul qui lui sert de QG de campagne, devant un parterre d’étudiants admiratifs, et Faizullah, son mari, tout aussi béat, s’empresse de servir du thé vert aux visiteurs. Le 9 octobre, cette pédiatre de formation affrontera dix-sept candidats – tous des hommes – lors de la première élection présidentielle au suffrage universel direct de l’histoire de l’Afghanistan.
Silhouette massive, la chevelure dissimulée sous un foulard, Massouda, 41 ans, est prête à en découdre, verbalement du moins, avec ses adversaires : le président sortant Hamid Karzaï, grand favori du scrutin, et une poignée de seigneurs de guerre (ouzbeks, tadjiks, hazaras…) qui font régner la loi (ou, plutôt, leur loi) dans des régions tombées sous leur férule au temps de la lutte contre l’envahisseur soviétique.
En 2002 déjà, lors de la première Loya Jirga (Grande Assemblée), Massouda Jalal avait osé briguer la présidence intérimaire. Mohamed Fahim, l’actuel ministre de la Défense, avait alors sommé monsieur Jalal de « serrer la vis » à son impudente épouse. Le sinueux Karzaï avait, lui, tenté d’amadouer la dame en lui proposant un fauteuil ministériel en échange d’un désistement. Massouda refusa net. Certes, cela n’affecta en rien les résultats (Karzaï obtint 1 295 voix), mais le docteur Jalal, arrivée en seconde position avec 171 voix, gagna dans la bataille ses galons de vaillante petite soldate.
Elle se prévaut aujourd’hui de cette attitude digne, et clame haut et fort qu’en tant que femme, elle, au moins, « n’a pas de sang sur les mains ». Dans un pays déchiré par vingt-cinq ans de guerre, c’est en effet appréciable. De même, Massouda a beau jeu de rappeler qu’elle ne bénéficie, pour sa campagne, que d’un accès très restreint aux médias nationaux (certains mentionnent sans plus de précision la candidature d’« une femme ») et d’aucun financement, alors que les seigneurs de guerre croulent sous les dollars du trafic de la drogue et que Karzaï bénéficie de l’appui ostensible des Américains. « Je ne veux pas que mon pays devienne un repaire de terroristes et de vendeurs de drogue », lance la candidate. Refusant la protection de gardes du corps, elle s’en prend avec virulence à un chef de l’État qui a toujours veillé à distribuer des postes aux chefs de guerre.
Qu’importe que cette entente soit, depuis quelques semaines, remise en question par des ministres ou des gouverneurs de moins en moins tentés de composer avec Karzaï. Massouda est sûre de son fait comme de celui d’arriver en bonne place le 9 octobre. « Ne me parlez pas de ce que je ferai si je perds. Je me prépare à gagner. »
Issue d’une famille tadjike aisée, le docteur Jalal a toujours été une battante. Son père, qui travaillait dans une usine de textile appartenant à une société allemande, et sa mère, passionnée d’histoire, demandaient à leurs enfants – garçons ou filles – de s’acquitter des mêmes tâches. Massouda, brillante élève et basketteuse émérite, s’oriente vers la médecine. Le must au sein de la méritocratie afghane. Et lorsque les talibans dénient aux femmes le droit d’étudier, Massouda, cachée sous son burqa, s’engage au sein du Programme alimentaire mondial des Nations unies, secourt les femmes et les orphelins.
Ce qui lui permet d’affirmer qu’elle est « à l’écoute des gens », à défaut de posséder un programme élaboré. Mais celle qui « veut servir » son peuple « sans discrimination fondée sur l’appartenance ethnique, la langue ou le sexe », détruire les champs de pavot ou combattre l’illettrisme a le mérite de faire entendre la voix de ceux qui rêvent de bâtir une société civile.
Reste à savoir s’ils sont nombreux au-delà de Kaboul et des milieux estudiantins. Sur les 8,7 millions d’Afghans inscrits sur les listes électorales, 42 % sont des femmes. Ne serait-ce que pour cela, la présence de Massouda a valeur de symbole.

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