Jean-Marc Anga : « Il faut faire revenir les jeunes dans le cacao »
Directeur exécutif de l’Organisation internationale du café et du cacao (Icco) depuis septembre 2010, Jean-Marc Anga revient pour « Jeune Afrique » sur le deuxième sommet international du cacao, organisé à Amsterdam du 9 au 13 juin. Constat alarmant : l’âge moyen des planteurs augmente et la relève n’est pas assurée.
Jean-Marc Anga revient pour Jeune Afrique sur les principales questions qui ont été abordées lors du deuxième sommet international du cacao, organisé à Amsterdam du 9 au 13 juin. Il est le directeur exécutif de l’Organisation internationale du café et du cacao (Icco) depuis septembre 2010.
Propos recueillis par Olivier Caslin, à Amsterdam
Jeune Afrique : Après avoir mis l’accent sur les challenges de la productivité du secteur lors de la première édition de la conférence mondiale sur le cacao à Abidjan en 2012, l’Icco s’est plus particulièrement intéressée cette année à la situation des producteurs. Pourquoi sont-ils aujourd’hui le centre d’attention de la filière ?
Jean-Marc Anga : Parce que depuis qu’en novembre 2000, la tonne est passée sous la barre des 1 000 dollars, ils sont toujours plus nombreux à se désintéresser du cacao, désormais en concurrence avec le palmier à huile ou l’hévéa. Le verger mondial vieillit, les producteurs vieillissent et cela fait peser une menace certaine sur les perspectives de production mondiale, au moment où la demande elle ne cesse d’augmenter sur la planète.
Sans mesures incitatives, nous ne pourrons pas renouveler la force de travail dans les champs. Il faut faire revenir les jeunes.
L’industrie est donc très inquiète et c’est pour cela qu’elle a inversé ses priorités pour se recentrer sur les producteurs, dont l’âge moyen aujourd’hui est compris entre 50 et 60 ans. Sans mesures incitatives, nous ne pourrons pas renouveler la force de travail dans les champs. Il faut faire revenir les jeunes.
Et constatez-vous leur retour ?
Nous sommes en train d’en créer les conditions. Mais sur ce dossier, l’Icco ne peut jouer qu’un rôle de facilitateur. C’est au niveau des gouvernements des pays producteurs et de l’industrie qu’il faut intervenir.
Au centre des débats, ressurgit la question des prix versés aux paysans. Comment faire pour que les pays producteurs puissent peser davantage sur la définition des prix établis à Londres ?
Il faut que les pays producteurs de cacao deviennent également des consommateurs de chocolat. Or pour cela, il faut mettre en place une vraie politique de promotion de la consommation à l’échelle locale, comme le Brésil, le Nigeria ou l’Indonésie l’ont fait ces dernières années, avec des résultats probants.
Au Ghana, en Côte d’Ivoire, la consommation représente moins de 4 % de la production. Ce n’est que le jour où la demande de ces pays se rapprochera de l’offre qu’ils avanceront vraiment sur ce dossier. À condition également que l’industrie sorte d’une logique productiviste qui comprime les prix et fait donc fuir les petits producteurs. Tout est question de coopération entre les différents acteurs de la filière, privés et publics.
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Et que pensez-vous des impératifs de cacao durable régulièrement mis en avants durant la conférence ?
Aussi longtemps que le producteur ne bénéficiera pas d’un prix bord champ suffisamment rémunérateur, il est inutile de lui parler de protection de l’environnement. Il faut donc commencer par remettre cette question des cours sur la table, pour espérer qu’ensuite le producteur intègre la dimension environnementale.
Idem pour la certification, qui aujourd’hui reste largement théorique, voire idéaliste. Il n’est pas question d’imposer à la filière une production 100 % certifiée. Il faut avant cela tout remettre à plat pour voir ensemble ce que nous pouvons faire dans un délai de cinq ans par exemple.
Est-il possible d’imaginer des stratégies sous-régionales, comme entre le Ghana et la Côte d’Ivoire par exemple, pour faire avancer plus rapidement ces dossiers ?
Tant que le producteur ne bénéficiera pas d’un prix bord champ suffisamment rémunérateur, inutile de lui parler de protection de l’environnement.
C’est souhaitable. Il serait quand même dommage que les deux principaux producteurs n’arrivent pas à coopérer sur des préoccupations communes. L’Icco tente de mettre en place un cadre d’échanges pour les pays producteurs. Pas pour réguler l’offre ou former un cartel, mais pour favoriser le partage des expertises, sur les questions sanitaires par exemple, au profit de tout le monde.
Est-ce que l’émergence de l’Asie signifie le début d’une nouvelle ère pour le cacao mondial ?
Sans aucun doute ! La classe moyenne se développe très vite en Asie, avec un pouvoir d’achat moyen qui augmente et des comportements en matière de consommation de chocolat de plus en plus proches de l’Occident. Cela va évidemment grandement influencé la demande.
C’est pour cela que nous comprenons l’angoisse des industriels qui parlent d’un déficit d’un million de tonnes de fèves à l’horizon 2020. Il devrait également y avoir un impact en terme de goût, sachant que le consommateur chinois ou japonais n’est pas adepte de produits très sucrés. Il va donc falloir que l’industrie s’adapte à un marché en pleine effervescence, où la diversité de l’offre doit répondre à une demande elle aussi de plus en plus diversifiée.
Le marché semble donc prometteur au final ?
À condition de régler le problème de prix pour les producteurs, sinon la filière restera exposée aux incertitudes.
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