Les cow-boys de Kaboul

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Jonathan (dit « Jack ») Idema, 48 ans, barbe et lunettes noires, a la peau tannée par le soleil. Mais ce 15 septembre, l’Américain fait grise mine : il vient d’être condamné à dix ans de prison par un tribunal de Kaboul. Ses compatriotes Brent Bennett et Ed Caraballo (un journaliste censé filmer leurs « exploits ») écopent, eux, de dix et de huit ans, et leurs quatre complices afghans de un à cinq ans de prison.
L’affaire commence le 5 juillet, lorsque la police locale perquisitionne une maison louée, à Kaboul, par les trois Américains. Elle y découvre huit Afghans hagards, les vêtements tachés de sang. Ces hommes, séquestrés depuis une dizaine de jours, accusent leurs geôliers de leur avoir jeté de l’eau tantôt glaciale tantôt bouillante sur le corps, de les avoir battus et privés de sommeil.

Inculpés pour détention illégale et actes de torture, les complices d’Idema font profil bas. Mais ce dernier, un ancien des forces spéciales, naguère condamné à la prison pour escroquerie, se défend pied à pied. Admet qu’il a dirigé une prison privée illégale, mais nie avoir eu recours à la torture. Et soutient qu’il travaille pour une mystérieuse unité, la « Task Force Saber 7 », chargée, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », de dénicher des membres d’el-Qaïda. Il prétend être en contact avec le cabinet du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld « cinq fois par jour, chaque jour », et détenir des preuves établissant ses liens avec le Pentagone et des responsables politiques afghans.
Quelques jours plus tard, un porte-parole de l’armée américaine reconnaît, non sans embarras, qu’Idema a remis aux autorités militaires, à Bagram, un suspect présenté comme un « gros poisson » d’el-Qaïda. Après un mois de détention, ce dernier se serait avéré de peu d’intérêt, éveillant les soupçons à l’égard de celui qui l’avait livré. Puis c’est au tour de l’Isaf (la force de l’Otan déployée à Kaboul) d’avouer avoir envoyé à trois reprises des experts en explosifs vérifier le contenu de véhicules signalés comme suspects par Idema.
Ce dernier était-il investi d’une mission secrète et a-t-il été « lâché » au moment où les États-Unis sont montrés du doigt pour avoir maltraité des prisonniers en Irak et en Afghanistan ? Ou n’est-il que l’un des nombreux mercenaires infiltrés dans le pays ? L’homme, à tout le moins, aura fait illusion : on l’a vu, sur une vidéo, s’entretenir avec Yunus Qanuni, le ministre afghan de l’Éducation, candidat à la présidentielle du 9 octobre. Mohamed Fahim, le ministre de la Défense, aurait lui aussi rencontré l’Américain.

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Mais Idema, coauteur d’un best-seller sur la traque de Ben Laden dans les montagnes de Tora Bora(*) dont il est – bien sûr – le héros et surnommé depuis par le tout-Kaboul « Tora Bora Jack », est devenu un parfait inconnu. Tant pour le gouvernement afghan que pour l’administration américaine. L’ambassade des États-Unis à Kaboul s’est même félicitée, à l’énoncé du verdict, de « l’équité » de la justice kaboulie. Quant au FBI, à qui les services secrets afghans avaient « prêté » pour analyse les preuves matérielles fournies par Idema, il est soupçonné, par les avocats de la défense, de les avoir tronquées avant restitution…
Une chose est sûre, dans cette trouble affaire : Idema risque de trouver le « Jack Tora Bora Sunset », le cocktail vodka-grenade qui porte son nom à Kaboul, très, très amer.

* The Hunt for Bin Laden, de Robin Moore et J. Idema, Presidio Press, 2003.

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