« La transition, ce n’est pas l’unanimisme »

Après avoir claqué la porte du gouvernement, a accepté de reprendre ses fonctions de vice-président, et fait le point pour J.A.I.

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Quand il enseignait le droit, il faisait prier ses étudiants au début de chaque cours. Né au Sud-Kivu il y a quarante ans, Azarias Ruberwa, Tutsi congolais, est un chrétien pratiquant qui ne boit pas et ne fume pas. Depuis juin 2003, Me Ruberwa préside le Rassemblement congolais pour la démocratie – l’ancien mouvement rebelle basé à Goma, dans l’Est – et détient l’un des quatre postes de vice-président de la transition. Est-il « l’homme des Rwandais », comme le disent ses adversaires ? Au sein du RCD, il s’oppose souvent à Bizima Karaha, considéré comme le fidèle des fidèles à l’égard de Paul Kagamé. Le 23 août dernier, Azarias Ruberwa a suspendu la participation du RCD à la transition. Dix jours plus tard, après une médiation du président sud-africain Thabo Mbeki, il a accepté de reprendre ses fonctions de vice-président de la République. Il explique pourquoi.

Jeune Afrique/L’intelligent : La transition est-elle toujours en panne ?
Azarias Ruberwa : Disons que la panne est en train d’être réparée. Mais attention ! Neuf mois avant la fin de la transition, il y a des retards qui risquent d’être irrécupérables. L’armée n’est toujours pas intégrée, ni restructurée. Comment allons-nous brasser tous les bataillons, compagnies et brigades en neuf mois ? Et sans la sécurité dans le pays, nous n’irons pas aux élections. Nous voulons vraiment y aller. Ne pas faire comme le Burundi ou la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, dans l’est du pays, le Kivu est le thermomètre de la paix. Ces derniers mois, des centaines de Congolais rwandophones ont été massacrés à Kalehe, à Bukavu, et jusque dans un camp de réfugiés au Burundi, à Gatumba le 13 août dernier.
J.A.I. : Le massacre de Gatumba n’est-il pas l’oeuvre des rebelles burundais des Forces nationales de libération (FNL), comme l’affirme Human Rights Watch ?
A.R. : Les déclarations de HRW ne sont pas paroles d’Évangile. D’après les témoignages des rescapés, ce massacre a été commis à la fois par des Interahamwes rwandais, des rebelles burundais et des Congolais. C’est un crime transfrontalier. Surtout c’est un génocide, car seuls les Banyamulenges [Tutsis congolais, NDLR] ont été attaqués. Les Congolais des autres tribus ont été épargnés. Selon nos sources, ce crime a été planifié à partir du Congo. Par qui ? L’enquête le dira, mais les assassins sont partis de la région militaire de Bukavu et y sont revenus. Selon nos informations, le commandant de cette région, le général Mbudja Mabe, fait partie des suspects.
J.A.I. : Ces terribles violences auraient-elles eu lieu si le général Nkunda, votre ancien compagnon du RCD, n’était pas entré en dissidence deux mois plus tôt ?
A.R. : Le général Nkunda a sa responsabilité comme homme et comme officier, car il a commis un acte d’indiscipline. Mais il ne serait pas entré en dissidence si les populations rwandophones du Congo avaient été sécurisées. Dans mon pays, il y a une population qui est plus en danger que les autres. Veut-on la disparition de tout un peuple ? Hier, c’étaient les Kassaïens au Katanga, ou les Hemas et les Lendus en Ituri. La protection des minorités est la priorité des priorités au Congo.
J.A.I. : La dissidence ne risque-t-elle pas de se renouveler si le Rwanda reste militairement présent à Goma ?
A.R. : Dans ces accusations, il y a beaucoup d’intox pour nous diaboliser. D’abord nous n’avons pas été plus aidés par le Rwanda que ceux qui ont été installés militairement au pouvoir à Kinshasa. Par ailleurs, pourquoi ne parlez-vous pas de l’Ouganda qui a aidé le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba ? Et mesurez-vous bien l’influence de l’Angola et du Zimbabwe à Kinshasa ? Si le Rwanda est en faute, nous le dirons. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de preuves de la présence militaire rwandaise au Congo. Et le rapport de l’ONU publié en juillet dernier à ce sujet est contredit par des témoignages. Nous ne dénoncerons pas le Rwanda juste pour faire plaisir à ceux qui disent à Kinshasa que nous ne sommes pas des patriotes !
J.A.I. : Si vous aviez tiré la sonnette d’alarme dès le mois d’avril dernier, n’auriez-vous pas évité l’escalade de la violence ?
A.R. : C’est possible, je le reconnais. Dès avril, nous aurions dû dénoncer publiquement toutes les graves entorses à la réconciliation. Le pouvoir parallèle dans l’armée et les services de sécurité. Les médias de la haine, non seulement dans la presse privée mais aussi – plus grave – à la télévision et à la radio d’État. La confiscation des entreprises publiques par le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Joseph Kabila. La corruption généralisée. Heureusement, depuis que nous avons pris l’opinion à témoin le mois dernier, les choses commencent à bouger. Et puis regardez la nouvelle feuille de route produite par le président de la République. Elle est plus sévère que notre propre évaluation ! Elle reconnaît que la transition n’a réalisé que 28 % de ses objectifs. Personnellement je dirais que, dans certains ministères, c’est 0 % ! Je crois que le RCD est le véritable contrepoids de la transition. Sans nous, ce serait l’unanimisme et le silence dans les rangs. Pour nous, la transition, ce n’est pas seulement compter les jours et dire au bout de vingt-quatre mois que la transition est terminée. Il faut voter les lois sur l’amnistie, la nationalité et la décentralisation. Sinon nous allons marcher avec des bombes dans la poche et ça finira par exploser.
J.A.I. : Si vous êtes candidat à l’élection présidentielle de l’an prochain, ne risquez-vous pas d’être identifié aux Congolais rwandophones et de faire un tout petit score ?
A.R. : Si mon parti me désigne, je serai effectivement candidat. Et je sais que mes adversaires feront campagne contre moi sur ce thème. Mais vous savez, quand on ne sait pas quoi reprocher de fondamental à son adversaire, on lui reproche ce qu’il est. Si mon tort politique est d’être né tutsi, l’argument me paraît très faible ! Il faut vraiment que l’Afrique sorte du vote tribal. Et je crois que le peuple congolais, qui a traversé beaucoup d’épreuves, a mûri. Il sait que le salut du Congo ne passe pas obligatoirement par l’élection d’un président issu d’une tribu majoritaire. Depuis l’indépendance, nous avons été dirigés sur la base de critères subjectifs comme celui-là et ça n’a pas aidé le Congo !

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