La résistible ascension de la famille Bush

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Au cours de ces dernières semaines, l’Amérique a tremblé. À Washington, le service de presse de la présidence essayait bien de donner le change en faisant mine de s’intéresser aux quelques dossiers du moment, la guerre en Irak, les menaces d’el-Qaïda ou le prix du pétrole, mais on sentait qu’il avait la tête ailleurs. Et les conversations, dans les couloirs proches du Bureau ovale, portaient sur un tout autre sujet : qu’allait donc révéler la saga du clan Bush, annoncée en sortie mondiale le 16 septembre, dont le texte, soumis à un strict embargo, faisait déjà flamber les enchères de la presse internationale ? Son auteur, Kitty Kelley, une sexagénaire accorte, célèbre pour son sourire timide, ses tailleurs Chanel, ses brushings et ses boucles d’oreilles, qui avait jadis, dans des biographies vendues à des millions d’exemplaires, enrichi l’histoire contemporaine de détails croustilleux – les dérapages mafieux de Frank Sinatra, les déprimes de Jackie Onassis, les galipettes de Nancy Reagan et les vicissitudes de la famille royale britannique -, avouait de son côté « une peur sans précédent », causée par « l’énorme pouvoir de représailles de la famille Bush ».
Aujourd’hui, le secret est levé simultanément dans plusieurs langues (en français aux Presses de la Cité). Les piles s’accumulent dans les librairies du monde entier : 700 pages qui en résument plus de 10 000, fruit d’un millier d’interviews (moins quelques-unes, les principaux intéressés s’étant dérobés) et de la mobilisation au service de Kitty, la « star de l’investigation », de tout ce que les États-Unis comptent comme services de documentation et d’archives. Sans oublier les détectives privés, les ex-épouses éconduites, les secrétaires au chômage ou les éboueurs en veine de confidences.

Disons cependant tout de suite que les révélations contenues dans ce « pavé » n’ont pas de quoi casser les vitrines du parti républicain, à moins de deux mois de l’élection présidentielle. Le penchant pour la bouteille exprimé, de père ivrogne en fille poivrote, par l’actuel locataire de la Maison Blanche, son arrestation et sa condamnation pour conduite en état d’ivresse, les « joints » fumés, voire « dealés » par sa tendre épouse Laura pendant ses – médiocres – études et même la « coke » sniffée à Camp David par George W. et son frère pendant que papa était en charge des destinées de la première puissance mondiale ne sont plus des « scoops » pour les Américains. Non plus que les exploits de George W. dans l’armée de l’air, dont on sait depuis belle lurette qu’ils lui permirent surtout d’éviter « l’aller simple pour Da Nang » quand les copains de sa génération, moins bien protégés par leur entourage politique, allaient se faire décimer au Vietnam. Quant à l’épisode relatif à l’avortement d’un petit Bush illégitime dans les années 1970, la rumeur en avait déjà été colportée par un spécialiste du genre, Larry Flynt, le sulfureux patron de Hustler. Enfin, pour les amateurs de séquences X, il semble bien qu’il leur soit conseillé d’aller composer leur casting ailleurs que dans ce livre et dans la famille Bush où, en dépit du « physique de séducteur » affiché par nombre de garçons, c’est surtout la « fièvre du pouvoir » qui a tenu lieu d’aphrodisiaque. Et ce n’est certes pas sur George W., tout macho et grande gueule qu’il aime à se montrer, que l’on pourra compter pour alimenter les fantasmes des lecteurs : « Pauvre Georgie. Il était incapable de nouer une relation avec une femme à moins d’être cuité », témoigne un vieux copain.

la suite après cette publicité

C’est donc à l’écart du spectacle annoncé qu’il nous faut trouver l’intérêt de l’ouvrage promu d’une manière éclatante par la redoutable Kitty Kelley. Aux antipodes du sensationnel chargé de nourrir les commentaires des gazettes et de booster les tirages des éditeurs, celle-ci a moins fait oeuvre de muckrackers (ces « fouille-merde » déjà dénoncés par Theodore Roosevelt au début du siècle dernier) que d’anthropologue. C’est là, dans la reconstitution méticuleuse de la construction d’une dynastie qui, en quatre générations, a donné à son pays, outre deux présidents, des sénateurs, des gouverneurs, des responsables politiques et de nombreux chefs d’entreprise, raflant au passage les voix des électeurs et les dollars par millions, que cet ouvrage mérite absolument d’être lu. Non pas pour les prétendus « hauts faits » de ses héros qui se dégonflent le plus souvent en autant de piteuses manoeuvres. Mais pour l’acharnement mis, génération après génération, par toute une fratrie unie et mue par la seule aspiration de ce que l’auteur qualifie de « racket sans fin » : une « gagne » forcenée malgré les échecs accumulés et l’insatiable ambition de récolter, en espèces ou en nature, les dividendes de la domination.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires