[Chronique] Mohamed Ben Salman-Jeff Bezos : derrière le piratage téléphonique, un feuilleton géopolitique
Le téléphone de Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post aurait pu être piraté par le pouvoir saoudien à des fins de chantage. Après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, voilà le monde qui fait mine de découvrir la nature du régime de Riyad…
Relation extraconjugale d’une des plus grandes fortunes du monde, piratage transnational de données intimes, délinquance gouvernementale, assassinat, enquête onusienne, scandale diplomatique, détectives privés… les ingrédients semblent teaser le prochain long-métrage de l’espion James Bond.
Mais ce n’est pas une fiction. Ce mercredi 22 janvier, deux experts de l’ONU ont évoqué un « piratage présumé du téléphone » de Jeff Bezos, président-directeur général de la toute-puissante entreprise de commerce électronique Amazon, par des sommités du pouvoir saoudien.
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies réclame une « enquête immédiate de la part des autorités américaines et des autres autorités compétentes ».
Un divorce à 38 milliards de dollars
Le scénario a tout d’un thriller. C’est aux États-Unis, en mars 2018, que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a récupéré le numéro de portable de Jeff Bezos. Le 1er mai, par un fichier vidéo MP4 transmis par WhatsApp, les services de « MBS » se seraient introduits dans les données téléphoniques du PDG américain, vraisemblablement dans le but de prélever et fournir au tabloïd américain People National Enquirer des données privées révélant une liaison extraconjugale de Bezos.
Ce dernier sera alors embarqué dans un divorce qui lui coûtera 38 milliards de dollars. Le 21 janvier, l’Arabie saoudite démentait toute implication du royaume dans le piratage téléphonique…
Mais cette affaire qui fleure la banale crapulerie peut aussi apparaître comme l’autre versant d’un assassinat politique. Car Jeff Bezos est le propriétaire du mythique quotidien américain The Washington Post, qui employait Jamal Khashoggi, le journaliste saoudien assassiné le 2 octobre 2018 au consulat saoudien d’Istanbul. À l’époque, les révélations sur ce meurtre conduisirent, elles aussi, sur la piste de Mohammed Ben Salman…
Si l’irruption médiatique du charismatique prince trentenaire fut une lézarde joyeuse dans la façade autocratique du régime saoudien, cette affaire à tiroirs constitue… une fissure dans la lézarde. Fallait-il vraiment le démembrement sauvage d’un éditorialiste et le piratage trivial de son employeur pour que le monde ébahi fasse semblant de découvrir la réalité d’un pouvoir dont la brutalité – sur son territoire comme au Yémen – est largement documentée ?
Le trompe-l’œil composé de financements d’opéra, de femmes au volant, de rallyes à l’intitulé africain ou de flexibilité sur le port du voile ne peut guère faire illusion. Pour autant, les puissances occidentales peuvent-elles se fâcher avec un membre fondateur de l’Opep, un bon client des fabricants d’armes, un contrepoint géopolitique régional de l’Iran et l’écrin d’une ville sainte ?…
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