L’Afrique conquise par le coupé-décalé

Un nouveau rythme ivoirien enflamme depuis plusieurs mois les pistes du continent.

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Pour la deuxième saison consécutive, la Côte d’Ivoire a offert aux mélomanes d’Afrique et de sa diaspora ses meilleurs moments d’ambiance. Après le raz-de-marée provoqué par le 1er Gaou des Magic System et la vague zouglou, on n’imaginait guère Abidjan rester le centre magmatique des rythmes urbains du continent. Et pourtant les secousses enregistrées cette année à Lomé, Cotonou, Ouagadougou, Douala ou Paris ont toutes pour nom de code « coupé-décalé ». Les Abidjanais « coupent » et « décalent » dans un mouvement d’ensemble baptisé « sagacité », comme en écho aux tremblements du dehors.
Né dans les boîtes afro de la capitale française, le mouvement est incarné entre autres par Doug Saga et DJ Jacob, qui en réclament la paternité. « Ça a commencé à Paris, en 2002, quand j’étais DJ au Nelson et à l’Atlantis. J’improvisais sur des chansons et j’ai trouvé le terme de coupé-décalé pour décrire les figures de certains danseurs. »
Fraîchement débarqué dans les bacs, Carton rouge est le premier album de ce jeune agitateur de platines qui a appris à « mettre le show » dans les night-clubs de Treichville avant d’être doublement sacré meilleur disc-jockey de Côte d’Ivoire. Ces six derniers mois, il a plusieurs fois fait le tour des capitales francophones d’Afrique, devenant l’une des têtes d’affiches les plus sollicitées. Les nouvelles rondeurs de l’artiste laissent penser que les royalties qu’il engrange sont loin d’être dérisoires, CD et DVD de coupé-décalé s’arrachant par centaines dans les boutiques spécialisées de Château-Rouge et de la gare de l’Est à Paris.
À la fois musique et danse, le coupé-décalé exploite la base rythmique du zouglou avec des emprunts au rap et des animations inspirées de la scène congolaise, notamment les fameux « atalakus » qui rendent hommage à telle ou telle personnalité en fonction de sa générosité. Dans les boîtes du continent, le ndombolo congolais ne fait plus autant piste comble, et le pays de Koffi Olomidé, terre sacrée de la rumba, reste le seul bastion qui résiste encore à l’assaut de la « sagacité ». Plus personne n’ignore aujourd’hui le refrain « À dormir, à dormir, dormir… à réveiller, à réveiller… » qui donne lieu à des scènes cocasses de danseurs mettant en pratique les paroles. Pour assurer le spectacle, dans le jargon de Yopougon on dirait « pour ambiancer », les chanteurs chargent leurs poches de billets de banque qu’ils distribuent ensuite dans la salle. Parmi les groupes les plus en vue, la Dream Team bénéficie d’une cote respectable. TV2, la deuxième chaîne de télévision ivoirienne, lui a souvent ouvert son plateau. Au Cameroun, Canal 2, une chaîne de télévision privée en vogue, a dégagé des plages spéciales consacrées au phénomène.
Depuis l’année dernière, un nouveau courant musical enflamme les pistes africaines : la prudencia, ou « danse des hommes prudents ». Ses promoteurs le présentent comme un concept fondé sur la notion de prudence dans tous les actes de la vie courante. Un jeune homme d’affaires, Don Mike, est le « président » du mouvement. Il affiche comme ambition de « permettre à la jeunesse de s’amuser tout en s’éduquant ». Pour se démarquer de la vague coupé-décalé née dans la diaspora, la prudencia se réclame de bases plus vertueuses. La démarche bénéficie, selon ses animateurs, du soutien de stylistes ivoiriens reconnus comme Étienne Marcel, Angybel, Pelify. Des princes de la scène africaine tels qu’Alpha Blondy lui accorderaient leur soutien. Le chanteur Meiway lui a dédié une chanson dans son dernier album, Golgotha.
Comme pour le coupé-décalé, un spectacle de prudencia s’articule autour des problèmes de la vie quotidienne, avec une bonne dose d’humour et d’autodérision. Une démarche qui séduit les mélomanes du continent grâce à cette acuité avec laquelle les jeunes artistes ivoiriens auscultent leur société, débusquant avec finesse les particularités des milieux urbains africains. Des chroniques qui rejoignent l’efficacité visuelle de compositions construites comme de petits scénarios et qui nous rappellent qu’une émotion est indissociable d’un contexte socioculturel et politique.

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