Kafka à l’aéroport
Le Terminal, de Steven Spielberg (sorti à Paris le 15 septembre)
Mehram Nasseri est un sans-papiers réfugié depuis seize ans dans la zone internationale de l’aéroport de Roissy. Son histoire a fait le tour du monde. Cet Iranien, chassé pour des raisons plus ou moins claires de son pays d’origine, ne peut plus ou ne veut plus y retourner, et les Français n’ont pas souhaité l’accueillir sur leur territoire. D’où sa condition étonnante de quasi-SDF apatride hantant le sous-sol du Terminal 1 de Roissy sans avoir le droit d’en bouger. Il a réussi à se maintenir dans ce lieu de non-droit sans graves problèmes de survie depuis la fin des années 1980 grâce à la complicité d’une partie du personnel et des commerçants installés dans l’espace de transit normalement réservé aux passagers et aux équipages des avions juste avant le décollage ou après l’atterrissage.
Grâce à Steven Spielberg, qui a payé il y a quelques années une somme conséquente à Mehram Nasseri pour pouvoir utiliser sa « mésaventure » dans un scénario, le réfugié iranien est devenu une vedette internationale. Sur la banquette rouge où il a élu domicile, avec toutes ses affaires disposées sur une petite table, il donnait en ce milieu du mois de septembre jusqu’à une dizaine d’interviews par jour à l’occasion de la sortie à Paris du dernier opus du maître d’Hollywood intitulé très banalement Le Terminal et qui est directement inspiré de son histoire.
Une bonne histoire fait-elle toujours un bon film ? En transposant celle-ci aux États-Unis, à l’aéroport principal de New York, le réalisateur a voulu lui donner une valeur emblématique et la relier indirectement à l’actualité. Sur l’écran, ainsi, on verra Viktor Novarski, citoyen de l’imaginaire Krakozie, débarquer à Kennedy Airport le jour même où un putsch sanglant a fait de son pays un paria sur la scène internationale. Du coup, privé de passeport reconnu, il ne peut fouler le sol américain et comme il ne peut pas pour autant retourner chez lui, il se retrouve … dans la situation d’un Mehram Nasseri apatride de fait. Avec en plus, dans son cas, l’obligation d’affronter un directeur de la sécurité de l’aéroport qui veut à tout prix se débarrasser de lui et invente toutes sortes de stratagèmes plus ou moins loufoques pour arriver à ses fins. Ce qui permet au passage, dans ce qui reste malgré tout une comédie, de dénoncer l’obsession sécuritaire de la patrie de George Bush et les relents – le mot est faible – de paranoïa et de racisme qui l’accompagnent depuis le 11 septembre 2001.
Hélas ! malgré le talent de Tom Hanks, qui incarne plutôt bien un Viktor Novarski lunaire, malin et touchant, la transposition de cette histoire exemplaire a en fin de compte réduit plutôt qu’augmenté sa portée. À vouloir truffer de bons sentiments un parcours kafkaïen, la fable spielbergienne a perdu l’essentiel de son impact potentiel. Avec, entre autres, une histoire d’amour inutile entre le héros et une hôtesse de l’air et un inévitable happy end où le même héros verra de bons Américains le « sauver » en faisant reculer l’horrible administration qui le persécute, le film verse dans le genre « gentillet » et édifiant.
On n’est ni dans Tati ni dans Capra, pour évoquer les deux références vers lesquelles le scénario aurait pu conduire en privilégiant la dimension absurde ou la veine satirique du sujet, mais plus banalement dans un Spielberg moins que moyen. Avec ce produit trop bien calibré, il n’a pas réussi, comme il y a peu dans Minority Report, à concilier divertissement et questionnement sur le monde dans lequel on vit. Espérons qu’il s’en sortira mieux avec son prochain sujet, également inspiré d’une situation réelle et des plus délicate : l’assassinat des athlètes israéliens par un commando palestinien lors des jeux Olympiques de Munich en 1972.
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