France: la télé prend des couleurs

Audrey Pulvar est la première femme noire à présenter un grand « JT » national. Si cette promotion fait tant de bruit, c’est que l’Hexagone s’est longtemps distingué par l’absence de représentation des minorités ethniques.

Publié le 20 septembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Pour en arriver là, elle a dû « en faire quatre fois plus que les autres ». Là : c’est dans l’oeil de la caméra du journal télévisé de 23 heures, sur France 3. Elle : c’est Audrey Pulvar, la première femme noire à présenter un « JT » national sur l’une des grandes chaînes hertziennes françaises. La nouvelle de cette nomination alimente depuis plusieurs semaines les pages médias des magazines français.
Et pourtant, quoi de plus normal a priori que de voir une femme d’origine non européenne, comme plus de 10 % de la population française, jouer un rôle important sur le petit écran ? En Grande-Bretagne, le présentateur Donald Mc Trevor, originaire de Trinité-et-Tobago, est le PPDA (Patrick Poivre d’Arvor) local depuis 1989 sans que personne ne s’en étonne.

Si « le cas Pulvar » fait aujourd’hui tant de bruit, c’est parce que l’Hexagone s’est longtemps distingué par l’absence de représentation des minorités ethniques. Une attitude montrée du doigt par le Haut Conseil de l’intégration dans un rapport publié en février 2004. Deux jours plus tard, Marc Teissier, le PDG de France Télévisions (France 2, France 5, TV5…), réagit en promettant une « présence visible » à l’antenne des « diverses composantes constitutives de la société française », couplée à une « politique sociale pour faciliter l’intégration » desdites minorités dans le monde de la télé.
Six mois après, l’engagement semble tenu. À moins que la nomination d’Audrey Pulvar ne soit qu’un simple « coup médiatique ». « Je n’ai pas le sentiment d’être un alibi ethnique. Je pense, et j’espère, que la direction va poursuivre sur sa lancée », confie, entre deux essais « plateau », la journaliste de 32 ans, ex-présentatrice vedette d’Antilles TV, où elle a aiguisé sa plume et affiné son sourire pendant huit ans.
Même si elle refuse d’être « le porte-drapeau des communautés de couleur », elle accepte de militer, à sa façon, en vantant à la direction les bienfaits d’une France plurielle, y compris à la télé. Contrairement à son père, Marc Pulvar, un indépendantiste populaire en Martinique, elle n’a pas le verbe revendicatif. « On ne me verra pas distribuer des tracts dans les bureaux. En revanche, dès que j’en ai l’occasion, je souligne qu’il y a des journalistes noirs, beurs ou autres tout à fait compétents. Je fais un travail de fond, moins visible mais plus efficace », affirme la jeune femme à l’image parfaitement maîtrisée. Et le public, comment a-t-il réagi ? Audrey jure n’avoir reçu qu’un seul courrier raciste depuis le début du mois de juillet, quand elle a commencé à faire des remplacements à Soir 3. Même en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où le Front national a recueilli près de 23 % des suffrages aux élections régionales de mars dernier, la journaliste, qui présentait le journal local de France 3 Méditerranée, n’a pas suscité d’hostilité liée à la couleur de sa peau.

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La « promotion » d’Audrey Pulvar pose dès lors la question du décalage entre les grands patrons des chaînes de télévision françaises et la société. « Ils semblent anticiper des réticences qui n’existent pas au final », avance l’intéressée, qui ne nie cependant pas l’existence d’une xénophobie latente dans l’Hexagone. « Quoi qu’il en soit, à moi seule, je ne vais pas résoudre tous les problèmes de discrimination de la société… Une Noire à la télé, ça ne suffit pas pour faire bouger les choses, et je ne veux surtout pas être l’arbre qui cache la forêt », s’agace la présentatrice.
C’est aussi la réaction de l’écrivain Calixthe Beyala, qui, à travers son Collectif Égalité, mène un combat acharné depuis six ans pour que les différentes minorités de la société française aient leur place dans les grands médias. Ulcérée que les grands manitous de l’information prétextent qu’il n’y a pas de journalistes noirs compétents en France, un an après la création du Collectif, en 1999, la romancière d’origine camerounaise va jusqu’à porter plainte contre l’État français pour discrimination. À l’heure d’une télévision omniprésente et omnipotente, la diversité des origines et des cultures de la société française est occultée, se plaignent Calixthe Beyala et ses amis du Collectif, le musicien Manu Dibango et le comédien Luc Saint-Eloi. Comment assurer l’intégration des différentes communautés si la télévision les cantonne aux banlieues et aux bureaux de l’Agence nationale pour l’emploi ?
Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de l’époque, Hervé Bourges, reçoit avec beaucoup d’intérêt les doléances de l’écrivain et admet que la monochromie du paysage audiovisuel français (PAF) participe d’une certaine pensée unique, d’une vision tronquée du monde en général et de la France en particulier.

Tout en s’opposant à la proposition du Collectif sur les quotas ethniques, jugés inconstitutionnels, Hervé Bourges lance une vaste étude sur la question. Au final, un pavé dans la mare qui incite les télévisions privées à… modifier leur cahier des charges à défaut d’embaucher…
Ainsi, en 2001, la chaîne privée TF1 s’engage à « prendre en considération, dans la représentation à l’antenne, la diversité des origines et des cultures de la communauté nationale ». Une résolution qui va l’aider à rattraper la chaîne publique France 2, laquelle compte Rachid Arhab parmi ses présentateurs de 1998 à 2000. Ce dernier, qui fait les beaux jours du JT de 13 heures, obtient à l’époque le Sept d’Or (récompense du PAF) du meilleur présentateur de journal télévisé. Sans préjuger des compétences du lauréat, on peut se demander si la France ne tente pas ainsi de se donner bonne conscience… Quoi qu’il en soit, c’est à la même époque que la chaîne publique recrute le Camerounais Patrick Fandio. Après cinq années de bons et loyaux services, le reporter a décidé de rejoindre TF1.

Pionnières en la matière, les chaînes publiques font aujourd’hui du surplace. « C’est le désert sur France 2 depuis le départ de Fandio pour TF1 », déplore Vianney Assani, le président-fondateur de Médias France Plurielle, une association de professionnels créée en 2001. « Les chaînes privées, du fait de l’obligation légale qui leur a été faite, comptent désormais plus de journalistes de couleur. TF1, notamment, a emboîté le pas à Canal + et M6. Ces deux dernières ne s’étaient pas fait prier pour innover en la matière. Il y a une dizaine d’années, leur politique de ressources humaines collait à leur image de chaînes "décalées" », explique Vianney Assani, tout en regrettant qu’il faille se targuer d’être « décalé » pour embaucher des minorités ethniques.
Pour Calixthe Beyala, TF1 fait des efforts, notamment à travers sa chaîne d’information en continu, LCI, celle-là même qui a donné sa chance à Audrey Pulvar lorsqu’elle a quitté Antilles TV. « Ils sont en train de former les journalistes sur LCI pour les transférer ensuite sur la première chaîne », avance, optimiste, l’écrivain. En attendant, la chaîne de Patrick Le Lay refuse de communiquer sur le sujet…
Pour l’heure, la nomination d’Audrey Pulvar est une petite victoire, selon les militants du Collectif Égalité. « À condition qu’elle n’oublie pas d’où elle vient, prévient Calixthe Beyala. Certes, les journalistes noirs sont compétents pour en être arrivés là où ils sont aujourd’hui, mais ils ont aussi été embauchés parce qu’ils étaient noirs. Il faut qu’ils imposent leur marque, leur sensibilité. »

La nouvelle présentatrice du Soir 3 est bien consciente des attentes qu’elle suscite : « Je sais qui je suis, j’assume parfaitement ma créolité, mais je ne veux pas être reconnue que pour cela. » Cette revendication, légitime, ne l’empêche pas de vouloir apporter sa touche personnelle : « Du fait de mes origines, j’ai un regard particulier sur certains sujets, qui passeraient peut-être inaperçus aux yeux d’autres journalistes. Par exemple, j’ai tenu à faire connaître le film qui retrace la vie de l’ancien président chilien Salvador Allende alors qu’on aurait pu parler d’une superproduction grand public ».
Quant au journaliste Vianney Assani, il a l’impression que la nomination d’Audrey Pulvar procède davantage d’une obligation légale que d’une vraie conviction. « Pourtant, assène-t-il, une telle évolution répond à un véritable impératif de cohésion sociale. »

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