Trois événements

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

Semaine riche en événements de grande portée. Nous en avons identifié trois que nous traitons longuement dans ce numéro, car leurs retombées risquent d’affecter notre vie pendant de nombreuses années :
– la gestion par Thabo Mbeki du problème de sa succession à la tête de l’Afrique du Sud ;
– l’effacement d’une partie de la dette publique multilatérale de pays pauvres et surendettés ; l’éventuel doublement de l’aide aux pays en développement ;
– la crise au sein de l’Union européenne.

Nous savions que Thabo Mbeki n’était pas le favori de Nelson Mandela pour lui succéder, et ses atermoiements face au fléau du sida qui fait des ravages dans son pays nous avaient fait douter de lui.
Mais la qualité de sa médiation dans la crise ivoirienne et le sérieux avec lequel il l’a menée, au début de cette année, ont impressionné ceux qui l’ont observé dans cette démarche : on ne pouvait faire mieux, et, si sa thérapie est appliquée – ce qui, hélas ! n’est pas le plus probable -, le pays s’en sortira.
Il vient de se surpasser par une décision prise le 14 juin, qui le place au niveau des plus grands (voir pages 8-12) et dont nous devons tous lui savoir gré.
Le Financial Times du 15 juin lui rend hommage dans des termes que je fais miens : « En décidant de remercier son vice-président Jacob Zuma, impliqué dans une affaire de corruption, le président sud-africain Thabo Mbeki a fait passer la morale avant la politique. Son courage force l’estime. Cette décision était difficile à prendre, et elle n’est pas sans risques. Mais c’était la bonne, aussi bien pour l’Afrique du Sud que pour tout le continent. »
Se débarrasser d’un dauphin encombrant, profiter d’un faux pas qu’il a commis pour lui faire « porter le chapeau », beaucoup de chefs d’État d’Afrique et d’ailleurs l’ont fait. Mais se séparer du successeur qu’on s’est choisi, alors qu’il est votre ami et jouit d’une grande popularité au sein de votre parti, s’y résoudre pour le bien du pays et de sa présidence, est rarissime.
Espérons que Mbeki, même s’il ne l’a pas fait pour cela, en recueillera quelque bénéfice : « Même en politique, a dit le général de Gaulle, il arrive qu’un acte courageux et honnête soit payant… »

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Au terme de marchandages et de tergiversations qui ont duré plus de dix ans, les pays riches ont fini par s’engager dans la voie que l’ONU et les organisations humanitaires les conjuraient de prendre. Ils se sont résolus à effacer la dette publique multilatérale de 18 pays pauvres et surendettés, en payant, à leur place, ce qu’ils doivent aux banques de développement. D’autres pays que ceux concernés par la décision prise à Londres le 10 juin bénéficieront de mesures similaires.
Sur leur lancée, les pays riches envisagent sérieusement, me semble-t-il, de consacrer à l’aide au développement un pourcentage moins dérisoire de leur PNB : s’agissant de l’Afrique, on parle de doublement en volume d’ici à 2010 et de triplement d’ici à 2015.
Nous nous efforçons de vous donner plus loin dans ce numéro notre évaluation des conséquences de ces décisions tardives, insuffisantes, mais positives, sur les pays qui souffrent de la mondialisation plus qu’ils n’en bénéficient.

Réclamée à cor et à cri par certains, décriée par d’autres pour son inefficacité, l’aide au développement est-elle « un devoir et une nécessité », comme la plupart le soutiennent ? Ou bien est-elle plus maléfique que bénéfique ?
Le meilleur spécialiste du développement qu’est Jeffrey Sachs dit, en pages 86-87, que l’Afrique en a besoin et qu’il faut l’augmenter.
Certes, car sans argent, le développement n’est pas possible. Mais il faut vite ajouter que les dizaines de milliards de dollars d’aide déversés depuis deux générations l’ont été, dans la plupart des cas, en pure perte. De nombreux exemples africains (l’ex-Zaïre, la Guinée, la Tanzanie, la Côte d’Ivoire…) l’attestent, et l’on peut même ajouter ceci : parfois, plus un pays est aidé, moins il se développe !
Si l’argent suffisait pour enclencher le développement, ou l’accélérer, les pays producteurs de pétrole, qui en disposent à profusion, se seraient développés plus vite que les autres. Or les exemples du Nigeria, de la Libye et de bien d’autres pays « enrichis » par « l’or noir » prouvent le contraire.
Comparons, par ailleurs, le Burkina, pauvre et enclavé, à la Guinée, sa voisine, dont le sous-sol est riche et où la pluviosité est satisfaisante. Pourquoi le Burkina développe-t-il beaucoup mieux son économie que la Guinée ? Parce qu’il est nettement mieux gouverné.
Conclusion : l’argent est donc nécessaire, mais il ne suffit pas et même, parfois – s’il est mal utilisé -, il empêche le développement, appauvrit au lieu d’enrichir : un pays pauvre et surendetté est un pays dont les dirigeants ont mal utilisé l’argent de l’aide.

Le spectacle que donne en ce moment l’Union européenne aux citoyens de ses vingt-cinq pays membres – et au monde – est inquiétant : ce qui s’est patiemment forgé en cinquante ans est-il menacé de se disloquer ? Les pays de la zone euro risquent-ils de voir leur union monétaire se dissoudre ?
La réponse à ces deux questions est fort heureusement un « non » aussi assuré que les deux « non », le français et le néerlandais, qui ont provoqué la crise.
On ne s’achemine pas vers une désintégration de l’Union, mais vers la mise en place d’une autre Europe.

La France va payer très cher son « non » du 29 mai. Son influence, jusqu’ici prépondérante grâce, notamment, à l’axe Paris-Berlin, se rétrécira comme peau de chagrin, en particulier si, comme on le prévoit, Angela Merkel, chef de la CDU, remplace, avant la fin de cette année, Gerhard Schröder à la chancellerie : elle est plus proche des États-Unis et de la Grande-Bretagne que de la France.
Mais, surtout, il faut faire confiance à Tony Blair, Premier ministre britannique, et à son ministre des Finances (et successeur) Gordon Brown, pour utiliser à plein, à partir du 1er juillet et pendant six mois, les ressources et opportunités que leur donnera la présidence de l’Union.
La presse britannique s’en pourlèche déjà les babines. Sous le titre révélateur de « Le triomphe de la perfide Albion », The Economist écrivait, l’autre semaine :
Il n’est peut-être pas très délicat de le souligner, mais le rejet par la France de la Constitution de l’Union européenne est à bien des égards un triomphe pour la Grande-Bretagne. Depuis au moins cinquante ans, les Britanniques ont eu deux objectifs en Europe. Le premier était de bloquer l’évolution vers l’union politique européenne ; le second, d’empêcher une domination franco-allemande sur la politique européenne. Avec la mort de la Constitution, les deux objectifs ont été atteints du même coup. […]
Sans cette Constitution, l’Europe n’existe plus politiquement. Lorsque Jack Straw, le secrétaire au Foreign Office, a prétendu qu’il était désolé du résultat du référendum, on entendait presque les bouchons de champagne sauter derrière lui. […]
Brusquement, tous les nuages se sont dissipés. La Grande-Bretagne est toujours membre du club européen, et l’union politique est morte. Mieux, les empreintes digitales de la France sont sur l’arme du crime.
Après des années passées à se faire traiter de « mauvais Européens », les Britanniques prennent un plaisir non dissimulé à voir les Français couverts de noms d’oiseaux.

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Joliment dit, mais ce n’est pas tout.
Tony Blair et Gordon Brown ont été pris, il y a quelques mois, d’un amour subit pour le continent africain et ils ont affiché la volonté de résoudre ses problèmes économiques. Nous les verrons donc bientôt ôter à Jacques Chirac la robe « d’avocat de l’Afrique » pour l’endosser à sa place et nous montrer qu’ils sont plus efficaces que lui et plus aptes à obtenir des résultats.

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