Simon Njami
Commissaire général de l’exposition Africa Remix (à Paris, jusqu’au 8 août)
Ecrivain et critique d’art d’origine camerounaise, Simon Njami est l’un des fondateurs en 1991 de la Revue noire, qui très vite s’est imposée comme une référence en matière d’art africain contemporain. En 1997, il organise à Paris, avec ses amis de ladite revue, une exposition qui donne à voir des installations, des photos et des sculptures d’artistes encore inconnus du public français : Suites africaines. Si la Revue noire a arrêté sa publication en 1999, Simon Njami continue son travail de commissaire d’expositions – il en a une vingtaine à son actif. Directeur depuis trois éditions des Rencontres photographiques de Bamako, il est aussi commissaire général d’Africa Remix qui, après Dusseldorf et Londres, est présentée du 25 mai au 8 août à Paris (voir J.A.I. n° 2315).
Jeune Afrique/l’intelligent : Les artistes africains contemporains gagnent en visibilité de par le monde. Qu’en est-il sur le continent ?
Simon Njami : C’est le grand problème des artistes africains contemporains. Le continent ne possède ni structure ni marché pour eux. Autrement dit, si on veut être un global player, il faut aller là où le marché existe. Ce qui implique aussi de s’en remettre au jugement d’autrui.
Les États africains n’ont pas saisi l’importance de la chose culturelle. S’il n’est pas nécessaire de fabriquer des automobiles puisqu’il en est qui fonctionnent très bien, il est très important en revanche de bâtir et de fortifier notre culture chez nous. Cela étant, il faut bien que la visibilité des créateurs africains commence quelque part. Certains ne seront reconnus chez eux qu’après l’avoir été ailleurs. Et si les États africains sont complexés, tant pis ! Mais si leurs artistes peuvent leur permettre de se décomplexer en découvrant que tel ou tel d’entre eux a vendu une oeuvre 300 000 dollars, tant mieux ! Peut-être comprendront-ils, progressivement, l’importance de tels enjeux.
Il serait quand même regrettable que les Africains restent à l’écart des grands courants artistiques qui les concernent, dans la mesure où ceux-ci s’inspirent de leur culture, de leur vie. La seule manière d’avancer est de porter ce débat chez eux, en leur donnant à voir des oeuvres qu’ils n’ont guère l’habitude de voir. C’est pourquoi je me bats pour qu’Africa Remix soit présentée à Johannesburg.
J.A.I. : Comment avez-vous choisi les oeuvres présentées à Africa Remix ?
S.N. : Mon critère a été la contemporanéité. Je me suis attaché à présenter les solutions plastiques que les artistes trouvent en réponse à des questions qui leur sont communes. J’ai aussi voulu montrer les différentes formes d’esthétique qui ont cours dans l’Afrique d’aujourd’hui. Toutes ces oeuvres sont de création récente. Elles datent d’il y a trois ou quatre ans tout au plus, à l’exception de celles de Frédéric Bruly Bouabré. Une grande partie d’entre elles, d’ailleurs, ont été commandées pour Africa Remix.
D’aucuns pensent que l’art africain est fondé sur la récupération. Effectivement, l’exposition montre certains exemples de cette pratique, mais la création africaine ne se cantonne pas à cela. J’ai voulu choisir des artistes qui me paraissent pertinents, qui posent des questions contemporaines, en partant d’un point de vue et d’un contexte africains. Ces questions, un Américain, un Français ou un Asiatique pourrait également se la poser et y apporter des réponses formelles différentes à cause des particularités de son histoire et de son identité.
J.A.I. : Justement, l’exposition s’articule autour de trois thèmes : histoire/identité, corps/esprit et ville/terre. Comment se sont-ils imposés ?
S.N. : L’un des traits communs aux sociétés africaines est qu’elles sont toutes postcoloniales. Elles s’inscrivent donc dans une démarche de redéfinition de soi au sein d’un monde global qui, sans cesse, les oblige à se déterminer par rapport à elles-mêmes et à l’autre. Et ce processus passe nécessairement par l’histoire, la politique, l’espace. Je me rends au Caire une fois par an et, à chaque fois, je constate que la ville a changé, dans un mouvement perpétuel qui constitue précisément le fait contemporain. C’est ce mouvement qui a imposé la thématique « ville/terre ».
Quant au chapitre « corps/esprit », ce qui justifie son choix, c’est que le corps africain a longtemps été utilisé à des fins d’exploitation. Mais les gens se sont aujourd’hui réapproprié leur corps, pour en dire autre chose. Et, naturellement, un corps sans esprit ne serait pas grand-chose ; donc c’est l’esprit qui anime ces corps montrés et revendiqués par leurs propriétaires, pour signifier encore une fois : « Regardez-moi de la façon dont je veux que vous me voyiez, et non avec les idées que vous avez sur moi. »
La partie « histoire/identité » découle, elle, de cette caractéristique commune à tous les jeunes pays d’Afrique qui doivent s’inventer en même temps que l’histoire avance. Et cette redéfinition ne peut s’opérer sans une relecture du passé, car l’histoire de ces pays a été écrite par les autres. Il est donc nécessaire de la revisiter.
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