Ruée vers l’or noir
Pour diversifier ses approvisionnements, l’Oncle Sam mise, entre autres, sur les gisements du golfe de Guinée. D’ici à 2015, le quart de ses importations sera fourni par des pays africains.
Tapis rouge, réception à la Maison Blanche et photo de famille dans le Bureau ovale, aide économique… George W. Bush ne lésine pas sur les moyens pour faire plaisir aux chefs d’État et ambassadeurs des pays africains producteurs de pétrole. Ces marques d’attention, loin d’être désintéressées, doivent faciliter l’implantation et le travail des géants américains tels que ExxonMobil et Chevron mais aussi d’opérateurs plus discrets comme Marathon Oil, Amerada Hess ou Ocean Energy dans le riche et prometteur golfe de Guinée. Dès mars 2000, le lobby pétrolier texan a commencé à sensibiliser les membres de la Chambre des représentants lors d’une réunion sur le potentiel énergétique de l’Afrique. L’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS), un think-tank proche des milieux néoconservateurs, plaide alors pour un désengagement progressif du Moyen-Orient et une exploitation accrue des réserves pétrolières africaines. Alors que survient la tragédie du 11 septembre 2001, l’IASPS parvient à convaincre les conseillers en énergie de l’administration Bush, notamment les plus radicaux. En janvier 2002, un séminaire réunit des membres de l’équipe du président et du Congrès ainsi que des consultants internationaux, des responsables de groupes pétroliers et des sociétés d’investissement. Dans la foulée, les participants créent l’African Oil Policy Initiative Group (Aopig), lieu de rencontre entre les intérêts publics et privés, et rédigent un Livre blanc intitulé « African Oil : a Priority for US National Security and African Development ». La machine de guerre américaine est lancée. Autrefois ignorée par les États-Unis, l’Afrique devient une priorité. Grâce à elle, Washington va diversifier ses sources d’approvisionnement et réduire sa dépendance vis-à-vis des pays arabes.
« Les importations américaines de brut subsaharien devraient passer de 15 % actuellement à 25 % en 2015 », estime Ann-Louise Colgan, qui anime l’association Africa Action. Au cours des cinq dernières années, les découvertes de nouveaux gisements ont été plus importantes sur le continent que partout ailleurs dans le monde. Le sous-sol africain recèlerait entre 7 % et 9 % des réserves mondiales. Soit entre 80 milliards et 100 milliards de barils.
« Le pétrole africain, même si son coût d’extraction est plus élevé qu’au Moyen-Orient en raison notamment d’un grand nombre de sites offshore, présente une bonne qualité et une faible teneur en soufre : il est léger et contient naturellement beaucoup d’essence et de gazole, qui sont des produits recherchés », souligne Jean-Pierre Favennec, expert auprès de l’Institut français du pétrole (IFP). Sur le plan technique, la spécificité géologique des fonds africains et la clémence du climat local réduisent en effet les délais entre les découvertes et leur valorisation : on peut y forer des puits rapidement et les exploiter au moyen de navires de production et de stockage stationnés en surface. Grâce à ces bâtiments, un premier traitement du brut peut s’effectuer sur le lieu même du forage. Les délais de production étant réduits, les entreprises qui investissent dans le pétrole africain récupèrent leur mise en un temps record. En outre, le taux de réussite des forages de puits d’exploration en eau profonde est d’environ 50 % en Afrique de l’Ouest contre 10 % dans le reste du monde. Près de la moitié des puits permet de découvrir un gisement d’une capacité supérieure à 100 millions de barils. Sur le plan géographique, l’Afrique est bien placée pour envoyer sa production non seulement vers l’Amérique du Nord, mais aussi vers l’Europe, également grande consommatrice. Plus proche des États-Unis que le golfe Arabo-Persique, la région présente un avantage supplémentaire : le coût du transport, un facteur important quand on sait que 40 % du fret mondial est le fait des produits pétroliers. La zone de production, essentiellement offshore, est à l’abri de l’instabilité politique. Autre atout, en dépit de la fragilité de certains régimes, les pays africains du pourtour du golfe de Guinée proposent globalement un système juridique relativement favorable aux investisseurs étrangers tant pour l’accès aux ressources que sur le plan fiscal.
Les investissements américains dans le secteur des hydrocarbures en Afrique occidentale devraient atteindre 35 milliards de dollars sur la période 2003-2008. En 2004, l’or noir a représenté 73 % des importations africaines (pour une valeur de 26,1 milliards de dollars) des États-Unis en 2004. Très présentes en Angola et au Nigeria, les compagnies américaines poursuivent leur implantation en Afrique centrale. En Guinée équatoriale, le groupe ExxonMobil, qui exploite le champ de Zafiro, est le premier opérateur du pays, et Chevron y poursuit des prospections. Au Tchad, le gisement de Doba est exploité par un consortium formé des américains ExxonMobil (40 %) et Chevron (25 %), associés au groupe malaisien Petronas (35 %). À São Tomé e Príncipe, sur les quelques compagnies ayant déjà conclu des accords d’exploration avec les autorités, deux sont américaines : ExxonMobil et Chrome Energy. Reste toutefois un problème de taille : l’insécurité dans le golfe de Guinée et dans la zone soudano-sahélienne. C’est pourquoi Washington s’implique dorénavant beaucoup plus fortement, en relation avec la France et le Royaume-Uni, dans le règlement des crises africaines (Côte d’Ivoire, Soudan, Congo, etc.).
Les États-Unis n’oublient pas, pour autant, le nord du Sahara. Le ministère américain de l’Énergie relève que, même si la découverte du premier champ pétrolier d’Hassi Messaoud remonte à 1956, le sous-sol de l’Algérie est encore sous-exploité. Les réserves prouvées sont estimées à 11,3 milliards de barils, et les capacités de production augmentent régulièrement. De nombreuses compagnies étrangères se sont lancées dans l’exploitation du brut algérien. Parmi elles, des groupes américains sont en bonne place, comme Amerada Hess et Anadarko.
En Libye, l’administration Bush a opéré un virage à 180 degrés en décrétant la levée des sanctions commerciales contre Tripoli. Washington n’oublie pas que les réserves prouvées de ce pays sont de 36 milliards de barils alors que le tiers du territoire seulement a été sondé. Plus généralement, nombre d’experts estiment que le continent est loin d’avoir livré tout son potentiel. « L’Afrique de l’Ouest est l’une des sources de croissance de la production de gaz et de pétrole les plus importantes du monde », indique une étude récente du département américain de l’Énergie. La Mauritanie, le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Sierra Leone seront ou pourraient être les prochains pays producteurs d’or noir. Pour toutes ces nations, les retombées pétrolières représentent une chance unique de sortir de la pauvreté. À condition que les revenus profitent réellement aux populations les plus démunies. Un impératif auquel les États-Unis semblent de plus en plus attentifs.
Du côté des ONG, on estime que des centaines de millions de dollars de recettes pétrolières s’évaporent chaque année d’Afrique centrale. En Angola, l’organisation américaine Human Rights Watch dénonce le détournement de 4,2 milliards de dollars des caisses de l’État entre 1997 et 2002. Toutefois, les choses tendent à s’améliorer. Sous la pression de la société civile, des Églises et des partis d’opposition, la communauté internationale – les États-Unis compris – demande dorénavant des comptes aux États pétroliers. Le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale se sont engagés à adhérer à l’Initiative sur la transparence dans les industries extractives (Eiti), soutenue notamment par Washington. La Banque mondiale est parvenue à imposer au Tchad un cadre contraignant sur l’utilisation des recettes pétrolières, qui doivent servir au développement du pays. São Tomé s’est également engagé à créer un fonds pour les générations futures. Rendez-vous dans vingt ans.
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