Prévenir et guérir
Depuis les attaques-suicides du 11 septembre 2001, le Pentagone a déclaré la guerre au terrorisme. Et ses experts se sont aussitôt tournés vers le continent. Priorité numéro un : assurer une présence dans la Corne de l’Afrique. Quatre mois après les attentats contre le World Trade Center, une Task Force de près de 2 000 hommes (dont 1 800 Américains) s’est installée au Camp Lemonnier, à Djibouti. Objectif : surveiller le golfe d’Aden, les côtes somaliennes et le détroit de Bab el-Mandeb, entrée sud de la mer Rouge et voie maritime éminemment stratégique.
Une autre zone du continent intéresse le Pentagone au plus haut point : le Sahel. Cette région constitue un espace peu habité, et donc peu contrôlé par les « États riverains ». L’administration Bush est parvenue à convaincre les autorités de quatre pays – le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad – de participer à l’Initiative PanSahel. Le Pentagone a réuni 6,5 millions de dollars par an pour former et équiper six compagnies d’infanterie légère au profit des gouvernements participants. « Nous ne nous faisions aucune illusion, assure Theresa Whelan, en charge des Affaires africaines au Pentagone. Une seule compagnie ne peut contrôler toutes les frontières mauritaniennes, par exemple. » Pour elle, l’une des vertus de PanSahel est de préparer le terrain à une coopération militaire plus large. C’est ainsi que vient de voir le jour la Trans Saharan Counterterrorism Initiative (TSCI, l’initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme). Ce programme est élargi à de nouveaux pays : Algérie, Maroc, Nigeria, Sénégal et Tunisie. Le budget est plus conséquent : 500 millions de dollars sur cinq ans. L’ambition aussi : du format de la compagnie, on passe au niveau du bataillon. La coopération ne concerne pas uniquement l’aspect militaire. L’Usaid (Agence américaine pour le développement international) y contribue en finançant des infrastructures scolaires et sanitaires au profit des populations locales. Le département d’État est sollicité pour financer d’autres opérations, comme le respect des normes internationales en matière de sécurité des aéroports. Quant au secrétariat au Trésor, il lui est demandé une assistance pour le contrôle des flux financiers et la traçabilité des fonds d’origine douteuse. Bref, une coopération solide qui mêle compétences civiles et militaires pour prévenir et guérir à la fois.
L’initiative a officiellement débuté le 6 juin dernier avec des manoeuvres militaires impliquant, outre les marines, des soldats algériens, maliens, mauritaniens, nigériens et sénégalais. Ces exercices, effectués dans l’Adrar ifora, de part et d’autre de la frontière algéro-malienne, ont été coordonnés par un poste de commandement basé à Dakar. Selon Richard Erman, ambassadeur des États-Unis à Alger, le but de ces manoeuvres, baptisées Flintlock 2005, est de préparer une offensive contre les bases du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), organisation islamiste armée algérienne qui a déjà fait parler d’elle, à la suite du kidnapping de touristes occidentaux dans le désert algérien notamment. Ou encore, plus récemment, lors de l’attaque perpétrée le 4 juin contre une unité de l’armée mauritanienne basée à Lemgheity dans la région frontalière avec l’Algérie et le Mali.
L’engagement des gouvernements de la région aux côtés de Washington dans la guerre contre le terrorisme conforte l’administration Bush dans ses choix. Ceux-ci devraient, d’une manière ou d’une autre, en être récompensés. À l’exception du Tchad, qui n’a pas encore atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE, les autres pays bénéficient d’ailleurs de l’annulation de leur dette extérieure. La suggestion du Premier ministre britannique, Tony Blair, d’effacer la dette des pays pauvres africains a été acceptée par le président George W. Bush… à certaines conditions. Les bénéficiaires devront prouver leur efficacité dans la guerre contre le terrorisme. Et assurément, les pays du Sahel n’ont pas ménagé leurs efforts. Mieux, ils ont manifesté un réel enthousiasme alors que l’Europe s’est montrée pour le moins circonspecte à l’égard de cette stratégie qui cacherait des ambitions inavouables, voire une implantation militaire américaine durable dans cette région d’Afrique. Certaines chancelleries européennes en Afrique ont la conviction que la menace du GSPC au Sahel serait gonflée à dessein par Washington. L’attaque du 4 juin a levé les derniers doutes. Le péril islamiste peut provenir aussi bien des montagnes afghanes que des immensités sablonneuses du Sahara.
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