Nouvelles frontières

Lutte contre le sida, protection de l’environnement et prospection pétrolière sont les priorités de Washington en Afrique. Mais depuis les attentats du 11 septembre 2001, la prévention du terrorisme ajoute une dimension politique aux relations afro-améric

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 8 minutes.

Paul Wolfowitz, ancien numéro deux du Pentagone et diplomate américain de haut rang, a pris la présidence de la Banque mondiale le 1er juin. Auparavant, « Wolfie » n’avait jamais mis le pied en Afrique subsaharienne. Condoleezza Rice, la secrétaire d’État nommée en janvier dernier, elle, connaît l’Afrique. Mais « Condie » n’y effectuera son premier voyage officiel que le mois prochain, à l’occasion du forum sur l’Agoa (loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique) qui se tiendra du 18 au 21 juillet à Dakar. De toute évidence, le continent ne figure pas sur la liste des priorités de la diplomatie américaine. Héritage de l’Histoire, les liens entre la grande puissance mondiale et les laissés-pour-compte de la mondialisation sont ténus, et les intérêts communs pour le moins limités. Pourtant, la chute du mur de Berlin en 1989 et les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York et le Pentagone ont changé la donne. De plus en plus, on reprend, du côté de Washington, l’expression du président nigérian Olusegun Obasanjo, prononcée lors du sommet du G8 à Sea Island en 2004 : la coopération entre le Nord et le Sud n’est pas un dû des grandes puissances à l’Afrique. Il s’agit « d’intérêts partagés, de sécurité mutuelle et de prospérité commune ».
Intérêt, d’abord. L’attrait majeur que présente le pétrole africain pour les États-Unis est évident et personne ne s’en cache. Les ressources énergétiques du golfe de Guinée, du Tchad ou du Soudan peuvent permettre à Washington de minimiser progressivement sa dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient. Aujourd’hui, les importations de brut africain représentent 15 % des achats américains d’hydrocarbures. D’ici à 2015, elles devraient atteindre 25 %. Le discours américain a d’ailleurs l’avantage de la clarté. Dans un document demandé par l’ancien secrétaire d’État Colin Powell, en 2004, à l’Africa Policy Advisory Panel et publié par le Centre d’études stratégiques internationales (CSIS), les experts recommandent une évolution de la politique américaine vis-à-vis de l’Afrique. Sept points majeurs sont soulignés, et la liste commence, sans complexe, par la nécessité d’avoir une politique énergétique claire.
Sécurité, ensuite. Jusque dans les années 1980, les États-Unis et les pays d’Europe se sont partagé le Tiers Monde, l’Amérique latine revenant aux premiers, l’Afrique aux seconds. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis ont commencé à s’intéresser au continent noir en dehors de toute conception idéologique. Le pétrole africain devenait tentant, même si les diplomates étaient réticents à s’investir largement dans un endroit du monde toujours considéré comme « dangereux pour la santé politique des États-Unis », selon Herman Cohen, qui était secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines du temps de George Bush père (1989-1993). La mort de seize soldats en Somalie en 1993, tués par des seigneurs de guerre, et les attentats contre leurs ambassades au Kenya et en Tanzanie, en 1998, rappelaient encore le douloureux syndrome vietnamien.
Le 11 septembre 2001 a tout changé. La lutte contre al-Qaïda a forcé Washington à ouvrir les yeux sur les poches de pauvreté et d’insécurité dont le monde regorge. Les gouvernements africains ayant du mal à sécuriser leurs pays en dehors des capitales (ce que vint confirmer l’attentat contre les Israéliens au Kenya, à Mombasa, en 2002), ils doivent donc être aidés pour mieux lutter contre les réseaux terroristes. Convenant aisément de leurs faiblesses en la matière, la majorité des États se montrent prêts à coopérer avec l’Amérique pour deux raisons. Non seulement pour satisfaire leurs propres besoins sécuritaires, mais aussi parce qu’une telle démonstration de bonne volonté peut se traduire par de substantiels avantages financiers. C’est d’abord à l’Afrique de l’Est que Washington s’est intéressé. Des troupes américaines sont basées de manière permanente à Djibouti depuis décembre 2002. L’armée éthiopienne aide le FBI à traquer les terroristes en Somalie depuis la fin de 2001. Les unités basées au Kenya et en Érythrée font régulièrement des patrouilles dans l’océan Indien. Les chefs d’État de Djibouti, du Kenya et d’Éthiopie ont même été conviés à Washington par George W. Bush, rejoignant ainsi le club très fermé des Africains invités à la Maison Blanche… Mais le rapprochement s’étend progressivement aux autres sous-régions. En mai dernier, Washington a dévoilé les dessous de l’Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme. Ce projet consécutif à l’Initiative PanSahel, lancée par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 pour empêcher l’établissement de bases terroristes en Afrique, va se concrétiser par l’allocation d’une enveloppe de 100 millions de dollars par an sur cinq ans pour améliorer les contrôles et la sécurité des frontières dans ce que les Américains considèrent comme l’une des zones les moins surveillées du monde : le Sahel (et plus particulièrement le nord du Nigeria). Auparavant seuls quatre pays d’Afrique de l’Ouest travaillaient avec les Américains. La nouvelle campagne concerne aujourd’hui neuf pays (Algérie, Maroc, Tunisie, Mali, Niger, Nigeria, Mauritanie, Sénégal et Tchad). Les fonds accordés restent modestes par rapport à ce que les États-Unis dépensent ailleurs, mais ils sont sans commune mesure avec ceux précédemment consacrés au problème (6 millions de dollars pour l’entraînement de troupes). Preuve de la prise de conscience du danger que représentent les territoires pauvres et enclavés, certains responsables vont jusqu’à comparer les déserts africains aux montagnes afghanes dans lesquelles Oussama Ben Laden a pu développer son réseau à l’abri du regard du monde. C’est également le cas du Soudan, qui suscite une attention croissante de la part des États-Unis. George W. Bush s’y est beaucoup plus intéressé que son prédécesseur, et pas seulement parce que le pays figure sur la liste des pays considérés comme « terroristes » par les États-Unis. Ni même parce que Ben Laden y a séjourné avant de s’installer en Afghanistan en 1995. Le combat entre le Sud chrétien et animiste et une capitale musulmane a passionné la droite chrétienne, influente auprès du président. Résultat : il a soutenu la conclusion d’un accord de paix entre les rebelles du Sud-Soudan et le régime de Khartoum. Bien sûr, les réserves prouvées de pétrole ont joué un rôle non négligeable dans cette intervention. Au Darfour, Bush a accordé 145 millions de dollars aux opérations de maintien de la paix, dirigées par l’Union africaine (UA), il a soutenu la demande d’Alpha Oumar Konaré d’un appui logistique de l’Otan et, au début de la crise, averti du risque de voir se perpétrer un nouveau génocide. Malgré ces implications remarquées, la diplomatie américaine en Afrique reste timide. Bush lui-même a appelé le Congrès américain à ne pas voter une loi proposée par le Sénat sur la demande d’éclaircissements sur les exactions commises au Darfour. Bush se souvient des déboires de son père en Somalie. Il a encore trop besoin de la coopération des autorités de Khartoum pour maintenir la paix avec les rebelles du Sud (c’est principalement dans cette région qu’on trouve le pétrole) pour se lancer si tôt dans une nouvelle campagne.
Le troisième axe de la diplomatie américaine concerne la prospérité commune. Mêlée d’intérêts sécuritaires (la pauvreté fait le lit du terrorisme), la coopération sur la protection de l’environnement et sur la santé répond également à la conception américaine sur le développement. « L’État de droit, la transparence, la politique économique qui favorise les échanges et l’investissement sont les voies qui offrent un meilleur avenir à l’Afrique », affirmait l’ancien secrétaire d’État adjoint, Richard Armitage, lors du Forum sur le partenariat avec l’Afrique en octobre 2004. C’est à cette idéologie que correspond le lancement, puis le renouvellement de l’Agoa, la loi qui permet aux pays africains sélectionnés d’exporter vers les États-Unis des produits hors taxes. Grâce à ces dispositions, les importations américaines de biens africains ont augmenté de 88 %, passant à 26,6 milliards en 2004, dont 3,5 milliards hors pétrole, tandis que les exportations vers le continent ont augmenté de 25 % entre 2003 et 2004.
La lutte contre le sida sur le continent est également un cheval de bataille de l’actuel président, qui lui permet de contenter les intérêts des entreprises pharmaceutiques tout en insistant sur certaines de ses convictions religieuses. En 2005, Bush a demandé 2,8 milliards de dollars d’aide au Congrès pour lutter contre le sida, la tuberculose et la malaria. C’est 16 % de plus qu’en 2004 et 78 % de plus qu’en 2003. Il a également promis de donner 200 millions de dollars par an jusqu’en 2008 au Fonds mondial de lutte contre le sida. Mais une partie de ce budget reste consacrée à des programmes bilatéraux et donc subordonnée à la satisfaction de certaines conditions, comme les campagnes en faveur de l’abstinence et de la fidélité – dont l’efficacité est loin d’être prouvée.
Sur le plan écologique, les États-Unis participent au programme ambitieux de conservation des forêts du bassin du Congo, le deuxième poumon de la planète après l’Amazonie. Pourtant grand absent du protocole de Kyoto, l’Oncle Sam se targue ainsi de promouvoir les principes de lutte contre le réchauffement climatique. Et fait ainsi d’une pierre deux coups : les pays concernés par la déforestation en Afrique centrale sont aussi ceux dont le sous-sol, onshore ou offshore, regorge d’hydrocarbures.
Toutefois, il serait réducteur d’analyser la diplomatie américaine en Afrique uniquement à travers le prisme de l’or noir. Car, si l’Afrique est de plus en plus présente sur l’agenda américain, c’est aussi parce que les pays situés au nord comme au sud du Sahara sont des alliés à ne pas négliger. Le fait que trois pays du continent siègent au Conseil de sécurité, par exemple, doit être pris en considération. Reste que la présence américaine semble d’autant plus limitée qu’elle est aujourd’hui concurrencée par l’arrivée massive de la Chine sur la scène africaine. Certes, les objectifs poursuivis par Pékin ne sont pas plus désintéressés que ceux des pétroliers texans. Toujours est-il que les Africains ne peuvent que bénéficier de l’intérêt qu’on leur porte outre-Atlantique. Et la compétition de séduction que se livrent les grandes puissances en mal de matières premières, d’influence et de sécurité ne peut pas leur faire de mal.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires