Les habits neufs de Wolfowitz

La tournée africaine du nouveau président de l’institution financière semble le confirmer : l’idéologue des néoconservateurs américains s’est métamorphosé en apôtre de la paix et du développement.

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

George W. Bush sait remercier ses plus fidèles lieutenants. En accédant à la demande de Tony Blair d’appuyer un allègement de la dette des pays les plus pauvres (voir pages 83-91), il a aussi mis le nouveau président de la Banque mondiale dans les meilleures conditions pour effectuer sa tournée africaine du 12 au 17 juin. Paul Wolfowitz, faut-il le rappeler, est l’ancien numéro deux du Pentagone et l’un des « cerveaux » de la guerre en Irak. Installé par Bush à la tête de l’institution de Bretton Woods, l’idéologue des néoconservateurs est en train d’opérer une profonde mutation pour se glisser dans les habits d’un homme de paix et de développement. D’où probablement son souhait d’inscrire l’Afrique au rang de ses priorités et d’y effectuer une tournée à peine douze jours après son entrée en fonctions. Bien conseillé, l’Américain a fait escale chez deux poids lourds : le Nigeria, pays le plus peuplé, et, surtout, principal producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, et l’Afrique du Sud, première économie du continent. Pour des raisons plus stratégiques liées aux grandes questions internationales, il a posé ses valises au Burkina, en plein coeur de la ceinture cotonnière africaine, et dans la région troublée des Grands Lacs, au Rwanda plus précisément, pays en quête de rédemption après le génocide qui a marqué son histoire récente.
Très hospitalier, le peuple africain a réservé à son hôte un accueil chaleureux : fanfare, danse, folklore, banderoles… En plus des traditionnels bains de foule et des entretiens avec les dirigeants des pays visités, qui ont mis pour l’occasion les petits plats dans les grands, Wolfowitz est allé à la rencontre de la société civile et des opérateurs privés. Il a visité, entre autres, une petite entreprise rwandaise exportatrice de roses, une usine pilote d’électricité au Nigeria et une société d’égrenage de coton au Burkina. Une occasion de montrer l’Afrique qui marche, libérale et portée vers le marché.
Si les premiers discours de l’homme fort de la Banque mondiale étaient teintés de compassion, ses interventions africaines ont sonné comme autant de mea-culpa, une posture adoptée par son prédécesseur et compatriote, James Wolfensohn. « La communauté internationale a une énorme responsabilité pour avoir regardé dans une autre direction que dans celle du Rwanda en 1994, a-t-il souligné en visitant le mémorial de Gisozi, à Kigali, où sont enterrés les restes de quelque 250 00 victimes du génocide. Je pense qu’il est important de faire plus que de simplement dire nous sommes désolés. Ça fend le coeur ce qui s’est passé ici. »
Deux jours plus tôt, au Burkina, il s’était apitoyé sur le sort des producteurs de coton et avait reconnu la responsabilité de son pays dans leurs difficultés. Le directeur de la Société des fibres textiles (Sofitex), Célestin Tiéndrébéogo, n’a pas manqué de lui rappeler que les aides cotonnières représenteront, en 2005, quelque 15 milliards de F CFA (22,8 millions d’euros) de manque à gagner pour les opérateurs burkinabè. « Ce problème du coton fait tant de mal ici mais aussi dans d’autres pays producteurs », a-t-il déclaré, avant de s’engager à tout faire lors du prochain sommet des ministres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Hong Kong, pour voir comment les subventions cotonnières des pays riches peuvent être réduites. Une attitude d’autant plus surprenante que le gouvernement Bush est le plus gros pourvoyeur mondial d’aides – évaluées à 3 milliards de dollars chaque année, auxquelles il faut ajouter des crédits à l’exportation de l’ordre de 1,5 milliard de dollars – à ses farmers du Texas et de Géorgie. Un appui pour le moins intéressé puisque les 25 000 producteurs cotonniers constituent l’une des franges de l’électorat de Bush.
Wolfowitz serait-il en passe de devenir le meilleur avocat de l’Afrique auprès de l’administration Bush ? Ou bien est-ce son ancien chef qui lui a demandé d’abonder dans ce sens pour tester les réactions et la puissance du lobby cotonnier américain avant le sommet de l’OMC ? Wolfie, comme le surnomme affectueusement George W., reconnaît qu’il doit convaincre. Mais nie qu’il a été placé à la Banque mondiale pour appliquer la politique de son ex-patron.
L’hebdomadaire britannique Sunday Times du 12 juin rapporte que l’ancien faucon avait pesé de tout son poids pour que la Maison Blanche cède aux exigences britanniques sur l’annulation de la dette des pays les plus pauvres. Et se serait rapproché des hommes du 10 Downing Street qui ont concocté un « plan Marshall » pour l’Afrique. Fera-t-il un bon président pour la Banque mondiale ? Reconnu pour être remarquablement intelligent, on ne voit pas, a priori, pourquoi il ne serait pas qualifié pour le poste. Cet intellectuel diplômé de sciences politiques et de mathématiques, dont le père, Jacob, fut lui-même un mathématicien de grande renommée, a déjà fait ses preuves. Ambassadeur en Indonésie à la fin des années 1980, Wolfie a pu prendre la mesure de la corruption et du sous-développement qui gangrènent les pays du Tiers Monde. Au Pentagone, il a réussi à mettre de l’ordre dans une structure très bureaucratique. Il est en outre, quoi qu’on puisse en penser, parfaitement conscient de l’importance du développement dans la lutte contre le terrorisme. « Le succès du processus de paix israélo-palestinien et les sorties de crise au Liban et en Irak dépendront de l’essor économique desdits pays, et je pense que nous avons un rôle important à jouer », a-t-il indiqué récemment. Enfin, Wolfowitz semble rallier progressivement à son point de vue ses collègues de Washington, qui s’étonnent de ses manières policées et avenantes, de sa capacité d’écoute et de sa maîtrise rapide des dossiers. Reste que l’homme s’est montré peu disert sur la marque qu’il souhaite imprimer à l’institution, à son programme et à ses actions. Certains pensent qu’il se servira de son poste pour imposer une philosophie agressive contre des pays comme l’Iran ou la Corée du Nord. Une hypothèse de moins en moins vraisemblable, car le nouveau président devra composer avec une équipe et une opinion publique qui sont loin de lui être acquises. Et si, finalement, Wolfie utilisait sa force de persuasion pour convaincre George W. Bush et ses collègues du G8 – les pays les plus riches du monde – de mener une véritable lutte contre la pauvreté, particulièrement en Afrique ? Réponse dans les prochains mois.

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