La nouvelle « black star »

Le jeune Jamaïcain Asafa Powell a battu le record du monde du 100 mètres en 9 »77.

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

C’est un exploit, mais ce n’est pas une surprise. Le quotidien sportif L’Équipe écrivait, le 14 juin : « Sauf grosse catastrophe, Asafa Powell, 22 ans, va devenir recordman du monde du 100 mètres. Ce sera aujourd’hui, dans un mois ou dans un an… » Ce fut le jour même. Powell courait sur le stade olympique Spiridon-Louys d’Athènes, « paradis du sprint », selon notre confrère, qui rappelait : « Sur les vingt meilleurs chronos de tous les temps sur 100 mètres, six ont été claqués à Athènes. Aucune autre ville au monde ne possède de telles statistiques, Lausanne figurant au deuxième rang avec trois de ces vingt chronos. »
Ce mardi 14 juin, donc, à 20 h 54, les conditions étaient idéales – 27 °C sous un soleil à peine voilé et un vent favorable de 1,6 mètre par seconde – quand le jeune Jamaïcain (il est né le 11 novembre 1982) s’installe dans les starting-blocks. En 9 »78, il égale le record de l’Américain Tim Montgomery établi le 14 septembre 2002 à Paris-Charléty. Un instant plus tard, le chronomètre électrique se ravise et affiche 9 »77. Asafa Powell est désormais l’homme le plus rapide du monde. Mieux encore, il est, pour l’instant au moins, épargné par les soupçons de dopage qui pèsent sur Montgomery depuis l’affaire Balco. Au-delà de Montgomery, il tend la main à l’Américain Maurice Greene, qui, sur cette même piste d’Athènes, le 16 juin 1999, avait couru en 9 »79. Et pour ce qui le concerne, il efface le mauvais souvenir du 22 août 2004, où, toujours sur la même piste, il n’avait terminé que cinquième de la finale olympique – en 9 »94 quand même.
La précocité d’Asafa Powell n’est pas exceptionnelle. Le grand Jesse Owens avait 22 ans lui aussi lorsqu’il rafla sous les yeux de Hitler quatre médailles d’or aux jeux Olympiques de Berlin, en 1936, et établit un record (10 »12) qui devait tenir vingt ans. Même âge pour Jim Hines en 1960, et Calvin Smith en 1983. Un autre grand, Carl Lewis, deux fois recordman du monde, en 1988 et 1991, huit titres olympiques, neuf titres de champion du monde, courait à 22 ans et demi en 9 »97. Le premier recordman du monde sur 100 mètres de l’Histoire, l’Américain Donald Lippincott, n’avait que 18 ans et 233 jours lorsqu’il remporta la médaille d’or en 10 »6 aux J.O. de 1912.
La particularité de Powell est plutôt qu’il a commencé tard. Bien que Donovan, son frère, ait été finaliste des Mondiaux en salle sur 60 mètres et demi-finaliste sur 100 mètres aux Championnats du monde de Séville, en 1999, il semble que ce soit la vision de Maurice Greene, dominateur aux jeux de Sydney, en 2000, qui lui ait donné des fourmis dans les jambes. Avec son grand format – 1,88 m pour 87 kg -, sa progression est rapide : dès sa première année de compétition, en 2001, il boucle un 100 mètres en 10 »50. Il a la chance, cette année-là, de taper dans l’oeil de Stephen Francis, le premier entraîneur professionnel jamaïcain. En septembre 2003, à Bruxelles, il court en 10 »02. Et l’année suivante, malgré sa déconvenue d’Athènes, il termine l’année invaincu dans les meetings, descendant à neuf reprises sous les 10 secondes. Ces dernières semaines, il a enchaîné un 9 »84 et un 9 »85, ce dernier temps à Ostrava, en République tchèque, sous la pluie et par une température plutôt fraîche (8 °C) – ce qui, bien sûr, n’est pas un avantage.
Autre particularité de l’exploit de Powell : c’est la deuxième fois seulement depuis l’utilisation du chronométrage électrique en 1968 (Jim Hines, 9 »95) que le record du 100 mètres échappe à un Américain. La première exception était le Canadien Donovan Bailey, qui, le 27 juillet 1996, courut en 9 »84. Il est à noter que Bailey est né à la Jamaïque, comme Powell, comme « l’Anglais » Lindford Christie, et comme un autre Canadien, Ben Johnson, lui aussi recordman du monde, mais triste héros de la plus retentissante affaire de dopage de l’histoire de l’athlétisme.
Ce n’est pas un hasard si plusieurs grands sprinters sont originaires de la Jamaïque, tel Don Quarrie, qui, en 1976, fut corecordman du 100 mètres en 9 »9. L’île est aussi la patrie de la « Slovène » Merlene Ottey, qui, médaille d’argent aux J.O. de 1996, championne du monde du 200 mètres en 1993 et 1995, accumula les performances jusqu’à près de 40 ans. Mais les excellents résultats des Jamaïcains doivent être replacés dans un cadre plus général : depuis les 10 secondes réalisées par l’Allemand Armin Hary, le 21 juin 1960, tous les recordmen de la distance reine sont des Noirs.
Les stupidités lepéniennes mises à part, le sujet reste assez largement « taboo », même aux États-Unis. Il a néanmoins été abordé, sous ce titre, en 2000, par Jon Entine, dans un livre dont J.A./l’intelligent a rendu compte le 5 septembre 2000 (Pourquoi les Noirs dominent le sport).
En athlétisme, sur les courtes distances, les cinq dernières années ont confirmé les observations d’Entine. À Athènes, Powell a ainsi devancé, dans l’ordre, le Ghanéen Zakari, le Jamaïcain Frater et le « Portugais » Obikwelu, originaire du Nigeria. Jusqu’en 2000, faisait observer Entine, les trente-deux finalistes du 100 mètres lors des quatre précédents J.O. étaient tous d’origine ouest-africaine. Les vingt-trois meilleurs 100 mètres de l’histoire répertoriés par L’Équipe à l’occasion du record de Powell ont tous été courus par des Noirs. Quarante-deux chronos de moins de 9 »90 ont été réalisés à ce jour par quinze sprinters, tous noirs. L’Africain-Américain Maurice Greene a réussi cette performance à dix reprises et le Trinidéen Ato Boldon à huit reprises. Powell occupe déjà la troisième place de ce palmarès.
D’une « élongation maximale plus grande » à une « densité corporelle plus forte », Entine analyse très précisément les atouts qui, avec un entraînement intensif, permettent aux Noirs d’origine ouest-africaine de réussir dans les sports anaérobiques. En revanche, « leur capacité pulmonaire plus faible » est un désavantage non seulement pour la natation, mais aussi pour les efforts prolongés. Là, il faut se tourner vers l’Afrique de l’Est…
Reste à espérer qu’Asafa Powell résistera à la tentation d’ajouter à ces atouts naturels d’autres qui le sont beaucoup moins. Ceux qui, par exemple, ont perdu Ben Johnson, Tim Montgomery et quelques autres. Vous avez dit dopage ?

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