Ils écrivent son nom : Palestine

S’ils sont parmi les auteurs arabes les plus traduits dans le monde, les écrivains palestiniens sont mal connus en France. L’IMA leur donne la vedette à Paris du 24 au 30 juin.

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 7 minutes.

La Palestine à l’honneur. Pour une fois, ce n’est pas à travers la guerre et les crises politiques que cette terre à la destinée si particulière est sous les feux de l’actualité. L’Institut du monde arabe, à Paris, en a fait son invitée d’honneur au VIIIe Salon euro-arabe du livre (24-30 juin). Plus d’une vingtaine d’éditeurs palestiniens sont attendus et quelque 1 400 ouvrages sortent pour la première fois du pays. Salwa al-Neimi, chargée de communication, explique : « Après les auteurs égyptiens et libanais, les Palestiniens sont les écrivains arabes les plus traduits dans le monde. » Pourtant, « c’est une littérature méconnue », regrette Farouk Mardam-Bey, directeur de l’excellente collection « Sindbad » chez Actes Sud, qui se bat pour son existence dans les rayonnages français.
Dans la première moitié du XXe siècle, il n’y a pas encore d’auteur de fiction palestinien majeur. Les intellectuels du pays s’expriment surtout par le biais d’essais politiques et d’articles. « Avec une spécificité, indique Farouk Mardam-Bey, une peur existentielle qui sous-tend tous leurs écrits. Les écrivains palestiniens ont réagi très tôt à l’entreprise sioniste. Ils ont senti la menace et l’ont répercutée. » La Palestine est alors avant tout un terreau extrêmement fertile pour la poésie, genre très prisé dans le monde arabe. Dans les années 1930 se développe une école « qui se distingue par une prise de conscience de la fragilité des choses à laquelle les poètes répondent par la dérision, comme Ibrahim Tuqân, poète nationaliste qui n’hésite pas à attaquer de façon acerbe les dirigeants locaux. Le sentiment d’un drame à venir y est très présent. »
Dans les années 1950 s’élèvent les voix d’un renouveau poétique, comme celle de Fadwa Tuqân (la soeur d’Ibrahim), qui mêle dans ses vers l’intime et le national. Née à Naplouse en 1917, l’année même de la déclaration Balfour qui prévoit la création d’un foyer juif en Palestine, c’est l’une des grandes poétesses arabes. Elle s’est éteinte en 2003.
Pour Farouk Mardam-Bey, le « premier coup de tonnerre dans la littérature palestinienne » est la publication, en 1964, du livre de Ghassan Kanafani Des hommes dans le soleil. Considéré comme le père fondateur du roman palestinien contemporain, Kanafani (1936-1972) offre un texte court mais très significatif, qui sera adapté au cinéma. Avant la naissance du mouvement nationaliste et de la lutte armée, avant la guerre de 1967 et la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza, le livre sonne comme un appel. L’écrivain semble dire aux Palestiniens : « Ne disparaissez pas comme mes personnages, qui, faute d’avoir crié leur existence, meurent de chaleur dans une citerne. Frappez très fort pour vous faire entendre ! »
Avec Kanafani, qui sera assassiné en 1972 au Liban, une autre des plus célèbres plumes de la diaspora est Jabra Ibrahim Jabra. Ce dernier, né à Bethléem en 1920, s’exile en Irak en 1948 où il meurt en 1994. Il devient rapidement une figure majeure de la littérature et du roman palestiniens, grâce à des livres comme À la recherche de Walid Masud ou Le Navire.
Après 1967, le monde arabe prend conscience de l’existence d’une poésie de résistance développée à l’intérieur des frontières de l’État d’Israël. Des jeunes poètes qui, comme Ezziddine al-Manacirah, Samih al-Qassim et Mahmoud Darwich, ont écrit dans un isolement total sont devenus d’un seul coup des phénomènes littéraires, leurs textes étant transformés en chansons… Après la gueule de bois généralisée qui a suivi la défaite de 1967, les gens avaient besoin d’une poésie politique qui galvanise les esprits. Ils se retrouvaient dans le poème de Darwich « Inscris je suis arabe », d’une simplicité extrême. Avec cette génération, le vers libre, réservé jusque-là à une élite, devient populaire.
Parallèlement, les années 1970 voient la publication de romans majeurs comme Les Aventures extraordinaires de Saïd le Peptimiste d’Émile Habibi (1974). Né en 1922 à Haïfa, membre du Parti communiste israélien, l’auteur sera élu à la Knesset et dirigera le plus grand quotidien israélien de langue arabe, Al-Ittihâd, de 1948 à 1990, avant de mourir en 1996. Il se met à la littérature après 1967. Dans le Peptimiste, il raconte, sur le ton de la dérision, l’histoire d’un Palestinien de l’intérieur qui combat son propre peuple, un idiot pas si bête qui emprunte au Candide de Voltaire. « Mon peuple est contre mon État, et mon État est contre mon peuple », écrit-il pour résumer la situation paradoxale et absurde des Palestiniens de l’intérieur. Bourré de traits d’esprit, de références historiques et littéraires, de double sens et de jeux mots, Les Aventures extraordinaires de Saïd le Peptimiste est l’un des romans les plus originaux écrits en langue arabe moderne.
À la même époque, l’apparition d’une femme écrivain en Cisjordanie fait grand bruit. Sahar Khalifa, née à Naplouse en 1941, lie la revendication nationale à la condition féminine et critique sa propre société tout en affirmant sa « palestinité », notamment dans Épines sauvages (1976) et La Foi des tournesols (1982). Liana Badr, née en 1950 à Jérusalem, élevée à Jéricho et exilée au Liban, en Syrie et en Tunisie, lui emboîte le pas. Ses livres parlent des femmes, de la guerre et de l’exil. Quelques-uns ont été traduits en français comme Une boussole pour un soleil ou Étoiles sur Jéricho.
Marqués par la première Intifada, au début des années 1980, certains auteurs vont révéler un style proche du documentaire, comme Gharib al-Askalani, qui vit dans un camp de réfugiés depuis qu’il a 1 an. Pour L’Homme et le coq et Sortir du silence, ses deux premiers romans, il précise qu’il n’a pas inventé ses personnages. « Je n’ai fait que consigner la vie de ceux qui m’entourent », dit-il dans le documentaire Les Belles Étrangères : Palestine réalisé par Mustapha Hasnaoui en 1997. « Les textes sur l’Intifada sont des graffitis dont on n’a pas sondé la profondeur. Ma mémoire est la mémoire du camp. J’écrirais sur le camp jusqu’à épuisement, non du camp, mais de ma vie. »
Après avoir traité de l’histoire collective, les auteurs palestiniens des années 1990 et de ce début de XXIe siècle semblent avoir abandonné la tonalité héroïque au profit d’une plus grande intimité et d’un intérêt pour « les choses de la vie ». « Aujourd’hui, la littérature palestinienne traite de la condition humaine en général. Elle ne recherche plus le spécifique et se soucie plus de l’individu que de la communauté », indique Farouk Mardam-Bey. « Par exemple, Hussein al-Barghouti, dans Lumière bleue, évoque l’expérience d’un étudiant palestinien aux États-Unis, tiraillé entre culture arabe et culture occidentale. »
L’introspection a remplacé les thèmes « palesto-palestiniens ». « C’est une littérature post-résistance qui ne ressemble pas à celle des aînés », poursuit Farouk Mardam-Bey. Pour l’éditeur, « il ne se dégage aucun grand romancier qui ait imposé sa tonalité, mais il y a de très bons nouvellistes », comme Ryad Beidas ou Mahmoud Choukheir, régulièrement traduits dans la Revue d’études palestiniennes d’Elias Sanbar et qui a déjà publié une douzaine de recueils en arabe.
Au sein de cette jeune génération qui aiguise sa plume, l’une des voix les plus novatrices est sans conteste celle d’Adania Shibli, 30 ans, née dans un petit village proche de Nazareth. Étudiante en journalisme, elle publie des textes dans le journal de l’université : ils sont repérés par Mahmoud Darwich, qui l’invite à collaborer à sa revue El Karmel. Son premier roman, Reflets sur un mur blanc, écrit à 25 ans et traduit en français l’année dernière, a reçu le prix de la Fondation Abdel-Mohsen Qattan, à Londres. Prix qu’elle obtiendra à nouveau l’année suivante pour son second roman.
Avec le retour de l’individu et du « moi » au centre de la littérature, les autobiographies et mémoires fleurissent. Après Jabra Ibrahim Jabra qui, dans Le Premier Puits (1993), faisait le récit de son enfance à Bethléem dans les années 1920 et l’universitaire Edward Saïd (décédé en septembre 2003) qui relatait ses vertes années dans À contre-voie, en 2000, nombre de Palestiniens ont décidé de raconter leur vie. Un certain nombre de personnalités de la société civile se sont ainsi prises au jeu de l’écriture. Azmi Bishara, député à la Knesset et philosophe, parle de la Palestine du Checkpoint (voir J.A.I. n° 2291) par le biais de saynètes acides. Cappuccino à Ramallah de l’architecte Souad Amiry est un journal de guerre plein d’humour rédigé lors des incursions militaires de l’armée israélienne à Ramallah entre le 17 novembre 2001 et le 26 septembre 2002. Enfin, le journaliste et critique de télévision Sayed Kashua a écrit, en hébreu, Les Arabes dansent aussi, qui parle de l’identité en miettes de ceux qu’Israël dénomme les « Arabes israéliens ». Le point commun de ces trois ouvrages est une capacité étonnante d’ironie sur les autres et sur soi-même. « La dérision semble être un trait national ! Et la seule arme face à l’absurdité de la vie quotidienne », note Farouk Mardam-Bey.
De l’humour, toujours, mais aussi de la tendresse dans À la recherche de Fatima de Ghada Karmi, écrit en anglais et paru en français au mois de mai. Médecin, militante de la cause palestinienne, Ghada Karmi a quitté son pays à 8 ans, en 1948, pour habiter Londres, où elle réside aujourd’hui encore. « Mon expérience m’a montré combien il était important pour les Palestiniens de raconter leur histoire non seulement à travers des discours politiques ou des slogans, mais à travers des parcours personnels et humains », explique-t-elle. Pour Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, « ce roman est plus fort que beaucoup d’essais. J’y ai retrouvé l’histoire du départ de Palestine et l’expérience d’une femme arabe qui essaie de s’intégrer et de se construire une identité. »

Salon euro-arabe du livre Du 24 au 30 juin à l’Institut
du monde arabe (1, rue des Fossés-saint-Bernard, Place
Mohammed-V, 75005 Paris). De 10 heures à 19 heures. Tél. :
(+ 33) 1 40 51 38 38 www.imarabe.org
Un exemplaire du recueil Nouvelles palestiniennes, édité pour
l’occasion par l’IMA, sera remis aux visiteurs.

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