Expert en boules de gomme

Des pneus, bien sûr, mais aussi de la proximité, du conseil, des services. C’est ainsi que le manufacturier italien grignote les parts de Michelin en Afrique. Et tente de lutter contre l’importation des pneus usagés venus d’Europe.

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

A priori, Pirelli n’est pas le fabricant de pneus le mieux adapté aux exigences du marché africain. Car le manufacturier italien s’est bâti au fil de son histoire un domaine réservé : les pneumatiques haut de gamme, destinés à des voitures à vocation sportive. Pirelli occupe ainsi la 5e place du marché mondial du pneu, avec une pénétration de 4,3 %, loin derrière les poids lourds de la discipline que sont Michelin, Bridgestone-Firestone ou Goodyear-Dunlop. Mais tutoie les sommets en Europe dans la catégorie haut de gamme, où il pointe en deuxième position dans le sillage immédiat de Michelin…
Par définition, un pneu haut de gamme est cher. Un handicap certain sur le marché africain, où la clientèle, pour l’essentiel, recherche le meilleur prix. Pourtant, Pirelli ne cesse depuis quinze ans d’accroître ses positions en Afrique. Sur le marché du camion d’abord, qui représente sur ce continent 55 % du chiffre d’affaires du secteur des pneumatiques, grâce à son usine d’Alexandrie (Égypte), laquelle irrigue à la fois le Moyen-Orient, le Bassin méditerranéen et l’ensemble de l’Afrique. Mais aussi sur le marché de la voiture particulière.
« Les conditions d’exploitation d’un pneu sont plus sévères en Afrique que dans le reste du monde, précise Alfredo Nembo, responsable des ventes de Pirelli pour le continent africain. Climat, état du réseau routier, emploi intensif des véhicules : des pneus qui parcourent 100 000 km en Europe ne dépassent pas 35 000 km en Afrique. Mais Pirelli dispose d’une solide expérience acquise dans des territoires comparables à ceux de l’Afrique : Amérique du Sud, Turquie. Nos pneus de camion, par exemple, sont renforcés par rapport à ceux que Pirelli commercialise en Europe, pour mieux répondre aux hautes températures et aux surcharges. »
L’expertise technique n’est pas la seule clé du succès en Afrique. « Chez nous, le client n’achète pas une marque de pneumatiques, mais un service, explique Daniel Assaf, distributeur de Pirelli en Côte d’Ivoire. Il recherche une proximité, des facilités de paiement, un montage gratuit. Un temps, j’avais même songé à offrir l’équilibrage et le parallélisme. Cet argument commercial n’était pas du goût des garagistes locaux… Alors, j’ai coupé la poire en deux. Je fais payer équilibrage et parallélisme, mais les tarifs n’ont pas changé depuis dix ans ! Et quand vous prenez soin de montrer à un automobiliste qu’un défaut de parallélisme est la cause de l’usure prématurée de ses pneus, il revient chez vous ! En 1992, Pirelli n’était qu’un acteur mineur dans le secteur du pneu en Côte d’Ivoire avec 2 % de pénétration. Aujourd’hui, nous sommes leader sur le marché des voitures particulières, avec 35 % du marché, et 3e sur le marché des camions derrière Bridgestone et Goodyear. »
Même recette, et même phénomène au Sénégal, où Pirelli conteste désormais la suprématie de Michelin, avec 20 % de parts de marché après avoir multiplié ses ventes par quatre en l’espace de quinze ans. Ou bien encore au Cameroun : « Michelin a longtemps connu une situation de quasi-monopole au Cameroun, témoigne Mauro Batistella, directeur commercial de la Dacam, importateur Pirelli dans ce pays. Au point que les Camerounais emploient toujours l’expression « le Michelin » pour désigner un réparateur de pneus. Nous avons mis l’accent sur la longévité des pneus Pirelli, développé le service après-vente. Résultat : Michelin est toujours leader au Cameroun, mais ne détient plus que 25 % du marché. Et nous le suivons de près, avec 19 %. »
Certes, le secteur du pneumatique évolue en Afrique avec un temps de décalage. Les pneus à chambre à air, qui ont disparu en Europe en raison de leur fragilité, occupent encore une part majoritaire en Afrique parce qu’ils sont plus faciles à réparer que des pneus tubeless. Et subsistent toujours, au Nigeria par exemple, des enveloppes en nylon qui appartiennent aujourd’hui à l’histoire du pneumatique. Mais les pneus tubeless nécessitent des jantes spécifiques, dont ne sont pas dotés les véhicules les plus anciens sur un continent où la moyenne d’âge du parc automobile dépasse fréquemment quinze ans. Dès lors, la montée en puissance des pneus tubeless est régulière en Afrique, au fur et à mesure du remplacement naturel des véhicules.
Bref, la vie serait belle et les lendemains radieux pour les distributeurs Pirelli en Afrique si un nuage ne venait obscurcir le ciel : la concurrence des pneumatiques usagés en provenance d’Europe. « Les pneus d’occasion importés par des circuits parallèles représentent un véritable problème pour l’Afrique, à la fois en termes de sécurité et d’environnement », assène Alfredo Nembo. Le mal n’est pas aisément quantifiable. Et sa gravité diffère d’un pays à l’autre. Mauro Batistella estime que les pneus usagés représentent 60 % du total des pneumatiques vendus au Cameroun. Même pourcentage au Sénégal, surtout pour les voitures particulières, selon Yahya Gazal, importateur Pirelli. Au Nigeria et en Côte d’Ivoire, l’émergence récente des pneus low cost venus de Chine ou de Russie, limite le recours aux pneus usagés dont le prix est bas, mais l’espérance de vie faible.
« La croissance future dans les pays d’Afrique de l’Ouest viendra pour l’essentiel du contingentement progressif de l’importation de pneus usagés, précise Yahya Gazal. Partout en Afrique, les autorités gouvernementales ont pris conscience du problème : pourquoi des pneus considérés comme dangereux en Europe seraient-ils tolérés en Afrique ? Mais il est difficile de lutter contre l’arrivée massive de ces pneus d’occasion. Au Sénégal, l’importation de voitures âgées de plus de cinq ans est désormais interdite, ce qui assainit le parc. Mais, à la différence d’une voiture, un pneu est anonyme et ne porte pas la date de sa première mise en service. Il existe pourtant deux solutions. La première en amont, avec un strict contrôle en Europe de la destruction des pneus usagés. La seconde en aval, avec l’instauration d’un contrôle technique pour les véhicules en Afrique. Car nous le constatons et le déplorons, les pneus meurent souvent au Sénégal de mort violente : ils dépassent le seuil d’usure et roulent jusqu’à l’explosion, avec les conséquences que vous imaginez pour la sécurité des personnes. »

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