Charité & business

Économie de marché d’une part, compassion de l’autre… tels sont les fondements de la politique africaine de l’administration Bush.

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

« Un ordre du jour de la compassion. » S’adressant aux journalistes le 1er juin dernier, à la suite d’un entretien à la Maison Blanche avec son homologue sud-africain Thabo Mbeki, George W. Bush n’a pas fait dans la nuance. Le prochain sommet des huit pays les plus industrialisés, le fameux G8, qui se tiendra du 6 au 8 juillet à Gleneagles (Écosse), sera largement consacré à la lutte contre la pauvreté en Afrique. L’occasion pour le président américain de mettre l’accent sur « le commerce et l’aide humanitaire ». Pas plus, mais pas moins. En revanche, sur la proposition britannique de doubler l’aide publique au développement, en la faisant passer de 25 milliards à 50 milliards de dollars par an jusqu’en 2010, la réponse est cinglante : « Ce n’est pas dans nos habitudes budgétaires. » Voilà qui est dit et qui résume à merveille le credo libéral défendu outre-Atlantique même lorsqu’il s’agit de venir en aide aux plus démunis. Les vertus du marché et le développement des échanges d’un côté, la charité et la compassion de l’autre sont l’alpha et l’oméga de la politique américaine en Afrique déclinée avec force par une série de mécanismes et de structures dont les contours et les objectifs dépassent les clivages partisans.
Nous sommes le 18 mai 2000. Bill Clinton encore au pouvoir promulgue la « loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique » (Agoa ou African Growth and Opportunity Act). Comme souvent avec les Américains, l’idée est simple et terriblement efficace : accorder des préférences douanières, verser des aides pour favoriser le commerce. Sur les 48 pays que compte l’Afrique subsaharienne, 37 peuvent bénéficier des avantages conférés par l’Agoa. En décembre 2004, le Burkina a été ajouté à la liste, mais la Côte d’Ivoire en a été retirée. Entre moyens de pressions diplomatiques et opportunités économiques, force est de constater que cette loi a produit des effets. Sa principale disposition permet aux producteurs africains d’exporter des vêtements sans droits de douane vers les États-Unis. La valeur exportée de ce type de marchandises est ainsi passée de 600 millions de dollars en 1999 à 1,5 milliard en 2003. Le principal bénéficiaire est le Lesotho, qui a développé une industrie textile entièrement tournée vers le marché américain. Plus globalement, les importations aux États-Unis dans le cadre de l’Agoa ont atteint 26,6 milliards de dollars en 2004, soit une augmentation de 88 % par rapport à l’année précédente. Évidemment, si l’on regarde ces chiffres de plus près, cette forte progression repose essentiellement sur la flambée des cours pétroliers et les importations d’hydrocarbures en provenance du Nigeria, de l’Angola, du Gabon ou bien encore de la Guinée équatoriale. Reste que les importations non pétrolières (3,5 milliards de dollars) sont aussi en croissance de 22 %. Quant aux exportations en direction des « pays Agoa », elles ont augmenté de 25 % pour atteindre 8,6 milliards de dollars. Au total, les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne ont progressé de 37 % pour atteindre quelque 44 milliards de dollars en 2004, contre 92 milliards pour l’Union européenne en 2003. Les États-Unis accusent donc toujours un certain retard, mais la dynamique est réelle et traduit une farouche volonté. Dans les couloirs du département d’État, on en est convaincu : l’élargissement des sources d’approvisionnement en pétrole et la pénétration du marché africain implique un développement des échanges accompagné d’une politique d’aide ciblée et conditionnée.
En janvier 2004, George w. Bush lance le Compte du millénaire (Millenium Challenge Corporation, MCC) en direction de 17 pays, dont huit en Afrique subsaharienne. Il suffit de lire le document officiel (http :// usinfo.state. gov) pour cerner rapidement la logique de l’initiative. « L’aide au développement ne peut avoir de bons résultats que si elle est liée à l’application d’une saine politique par les pays bénéficiaires. En conséquence, ses ressources seront distribuées aux pays en développement qui auront démontré leur ferme attachement aux principes suivants. » Suit alors l’énumération : « une bonne administration publique, l’éradication de la corruption, la défense des droits de l’homme, la santé et l’éducation placées au rang de priorité, la promotion de l’entreprise et l’ouverture des marchés ». « Ce package de la bonne gouvernance » proposé par la Maison Blanche est accompagné d’une enveloppe de 2,5 milliards de dollars pour 2005 et 3 milliards prévus pour 2006. De quoi séduire quelques chefs d’État pourtant rétifs lorsque l’on évoque les valeurs démocratiques ! Les priorités du MCC sont le développement dans les zones rurales, l’agriculture, les réformes du secteur financier et la mise en place d’infrastructures.
Après le commerce et l’aide conditionnée, le troisième étage de la fusée américaine concerne l’annulation de la dette africaine évaluée en 2005 par le Fonds monétaire international (FMI) à 284 milliards de dollars, soit 9,3 % seulement de la dette de l’ensemble des pays en développement. Depuis 1999, les États-Unis ont accordé 2,2 milliards de dollars en allègement de dette aux 23 pays africains concernés par l’Initiative PPTE, qui bénéficie aux pays pauvres très endettés. C’est insuffisant, selon la Maison-Blanche. Lors du sommet du G8 à Gleneagles, George w. Bush devrait encore plaider pour une annulation accélérée de la dette multilatérale et bilatérale. Derrière cette générosité se cache en fait « une vision du monde », selon Jean Merckaert, chargé des questions de financement du développement au CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement). « En demandant l’annulation de la dette multilatérale, Washington vise à affaiblir les banques de développement, comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, dont les ressources reposent en partie sur les remboursements de prêts. Concernant la dette bilatérale, derrière l’annulation, les Américains veulent surtout substituer le don au prêt et ainsi placer les pays du Sud sous dépendance. Il faut bien évidemment annuler la dette, mais cela doit nécessairement s’accompagner d’une augmentation de l’aide au développement dans une logique de partenariat », conclut-il. Une analyse que n’est pas loin de partager un haut fonctionnaire du ministère français de l’Économie et des Finances : « Annuler la dette revient à récompenser les mauvais payeurs, et cela aura très peu d’effets sur la lutte contre la pauvreté. En revanche, il faut trouver de nouveaux financements aux politiques d’aide avec, par exemple, la taxe sur les billets d’avion que propose la France. » Le prochain sommet du G8 sera peut-être l’occasion d’y voir un peu plus clair.

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