Ce qu’ils en pensent

Publié le 20 juin 2005 Lecture : 6 minutes.

Omar Kabbaj
Président de la BAD (Banque africaine de développement)
« Cette décision revient à octroyer une aide additionnelle »
La proposition du G8 d’accorder un allègement de la dette multilatérale de 100 % à des pays ayant atteint leur point d’achèvement dans le cadre de l’Initiative PPTE (pays pauvres très endettés) est une bonne nouvelle parce que ces pays vont désormais disposer de ressources additionnelles pour financer leurs programmes de développement. La décision des pays du G8 signifie que les donateurs vont dorénavant, au nom de ces pays, rembourser la totalité de l’encours de leur dette envers la BAD, la Banque mondiale et le FMI (Fonds monétaire international). Cette démarche peut, à son tour, débloquer des ressources considérables qui auraient pour effet d’augmenter les ressources financières à la disposition des pays à des fins d’investissement dans des secteurs stratégiques et dans des programmes de réduction de la pauvreté. En somme, accorder à ces pays un allègement supplémentaire revient à leur octroyer une aide additionnelle. Les remboursements effectués au profit de la Banque au titre de prêts qu’elle avait jadis accordés sont toujours recyclés en vue de financer de nouveaux programmes et projets, à l’exception des montants alloués à la constitution de réserves et au financement d’autres initiatives avec le revenu net de la Banque. Au titre de l’initiative du G8, l’encours des créances sera désormais versé par des donateurs – et non par les pays qui avaient emprunté ces fonds – à la BAD et à son Fonds africain de développement (FAD) et servira à financer de nouveaux programmes, projets et d’autres initiatives dans nos pays membres régionaux.

Samir Amin
Économiste égyptien, président du Forum Tiers Monde
« Ni une surprise ni une panacée »
La décision des pays du G8 est d’autant plus justifiée que la dette est le produit de la politique économique néolibérale menée par les riches, qui ont contraint les pays du Sud à s’endetter. Les pays riches ont cherché à placer des excédents de capitaux qui, du fait de la crise économique, ne trouvaient aucun débouché dans l’investissement productif de leurs pays, ou chez ceux qui sont censés être en mesure de les recevoir. Il leur a donc fallu fabriquer des débouchés alternatifs factices pour éviter la dévalorisation de ces capitaux. Le service de la dette est insupportable pour les pays les plus pauvres du Sud, qui, pour certains, l’ont déjà remboursé vingt fois.
Cette réduction était programmée dans le document de la Commission pour l’Afrique du Premier ministre britannique Tony Blair. Si cet organe l’a proposée, c’est parce qu’elle n’avait plus de nécessité du fait qu’elle avait rempli les objectifs qu’on attendait d’elle : imposer, à travers les plans d’ajustement structurel qu’elle a légitimés, la soumission aux stratégies du capital dominant.
Plusieurs pays, notamment le Nigeria, Haïti, le Brésil et l’Argentine, ne sont pas concernés, alors que leur dette est très élevée. Les nations du Sud doivent imposer un audit international de la dette. Dans la plupart des cas, on verra bien son caractère illégitime. Je demande également que l’on mette en place une législation internationale afin de juger de la légalité de toutes les actions prises pour les pays en développement. Il faut créer un droit international de la dette, jusqu’ici tout à fait embryonnaire, et mettre sur pied des tribunaux qui diraient le droit dans ce domaine afin que ces questions ne soient jugées ni par des commissions d’arbitrage, ni par le Club de Paris ou de Londres, où l’on a coutume de « régler les comptes » des pauvres.

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Jean Merkaert
Chargé de programme au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD)
« Un acte politique de justice qu’il faut dissocier de l’aide »
C’est un accord historique car l’annulation de la dette multilatérale est l’une de nos revendications. Jusqu’à présent, dans le cadre de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), il n’y avait qu’un processus d’allègement pour ramener la dette à « un niveau soutenable ». Cet accord va donc dans le bon sens, mais nous avons néanmoins de nombreuses réserves : les montants sont insuffisants, le nombre de pays est limité et l’annulation est conditionnée.
La dette totale des 165 pays en développement est de 2 500 milliards de dollars. L’annulation décidée par le G8 ne concerne dans l’immédiat que dix-huit pays pour un montant de 40 milliards. Le coût de l’accord pour les grandes puissances est chiffré à 1,5 milliard de dollars par an, mais les 62 pays à faible revenu remboursent chaque année 39 milliards de dollars sur une dette de 523 milliards. Par ailleurs, cette mesure va être comptabilisée dans l’aide publique au développement (APD). Or l’annulation de la dette doit être considérée comme un acte politique de justice et être déconnectée de l’aide, car les responsabilités sont partagées. En fait, les pays riches font feu de tout bois pour respecter leur parole et atteindre les fameux 0,7 % de leur PNB affectés à l’APD.
En fait, cette annulation, dont l’initiative revient aux Anglo-Saxons, est conditionnée à la mise en oeuvre de programmes économiques d’inspiration néolibérale. Les déclarations de George W. Bush le confirment : Washington refuse de soutenir les pays qui n’ont pas une économie ouverte.
En outre, les concessions américaines présumées sur le financement de cette annulation restent à vérifier car le communiqué du G8 est assez ambigu. Le FMI va devoir supporter la mesure avec « ses ressources existantes sans diminuer ses capacités de financement ». Pour la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD), les pays riches s’engagent à compenser « chaque dollar effacé ». Mais il y a une inconnue sur le long terme car les contributions des pays riches sont renégociées tous les trois ans. La part des États-Unis dans le budget de la Banque mondiale est passée de 20 % à 12 %. Il est clair que le Congrès souhaite réduire l’influence des banques multilatérales. Tous les trois ans, il faudra donc bien vérifier que les grandes puissances ne diminuent pas leurs financements.
Il ne faut pas seulement éponger la dette, il faut aussi faire un audit pour comprendre son mécanisme, comment elle a été contractée, pour ne pas répéter les erreurs du passé et fixer des règles du jeu. Car, pour l’instant, le traitement de la dette est unilatéral. Les puissants se rencontrent et décident de tout en faisant de la charité. La liste des trente-huit pays est arbitraire. Pourquoi Haïti a 0 % et le Mali 100 % d’annulation ? La gestion de la dette ne doit pas être confisquée par les créanciers. On appelle donc à la création d’un droit international de la dette. Partout où la dette est un obstacle au développement, elle doit être annulée : « la vie doit passer avant la dette ». Partout où elle peut être considérée comme nulle juridiquement, viciée ou odieuse, elle doit aussi être annulée. L’exemple du Nigeria est édifiant. Voilà un pays qui rembourse 1 milliard par an pour une dette contractée par les juntes militaires.

Seydou Bouda
Ministre burkinabè de l’Economie et du Développement
« C’est un soulagement »
L’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) nous accordait chaque année une remise de dette de 50 %, soit entre 25 milliards et 30 milliards de F CFA. Avec la décision du G8, c’est du 100 %, mais uniquement sur la dette multilatérale. Le niveau devrait donc atteindre annuellement entre 40 milliards et 45 milliards de F CFA. C’est donc pour nous un soulagement. (L’encours de la dette extérieure du Burkina est de 1 901 millions de dollars, soit 1 032 milliards de F CFA. 80 % de cette dette est multilatérale, NDLR.)
Cette décision est aussi la bienvenue car elle admet que la dette est une entrave au développement. Mais il faut aller au-delà avec un moratoire sur la dette future pour permettre aux États d’emprunter sans se soucier du remboursement jusqu’en 2015 au moins, afin qu’ils puissent mobiliser toutes leurs ressources en vue d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Rien ne sert d’annuler la dette actuelle si on reconstitue un fardeau identique.
L’argent que nous allons économiser sera réaffecté vers les secteurs sociaux prioritaires : santé, éducation, eau potable et assainissement. Toutes ces priorités n’étaient pas couvertes et nous étions en recherche de financements. Nous allons pouvoir lancer de nouveaux programmes. Les conditionnalités ne sont pas nouvelles. Nous avons un programme en cours avec le Fonds monétaire international (FMI). Mais il reste entendu que cet acquis de l’annulation ne doit pas remettre en cause le cap du doublement de l’aide publique au développement. Sinon, on n’aura rien fait.

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