[Tribune] Pour une République israélo-palestinienne
Inutile de fermer les yeux et de se mentir : le plan Trump est une très mauvaise nouvelle pour les Palestiniens.
« Une troisième Naqba », a écrit l’excellent journaliste israélien Gideon Levy, qui, jour après jour, les défend. Avec le nouveau plan de paix présenté par le président américain, le risque est grand de voir sombrer ce peuple dans le désespoir, évidemment stérile, ou dans un terrorisme suicidaire.
Pour éviter cela, les Palestiniens doivent très vite bâtir une stratégie claire avec des objectifs précis et dessiner une tactique efficace pour les atteindre. Ce plan doit reposer sur l’examen sans concession de la situation réelle. Celle-ci peut se résumer en une phrase, désespérante mais vraie : le peuple palestinien a perdu sa guerre contre le sionisme.
Absence d’alliés sérieux
L’erreur, on le sait, fut au départ, en 1947, de refuser le plan de partage proposé par l’ONU, bien qu’il fût injuste compte tenu de la situation démographique d’alors. Les Palestiniens n’ont aujourd’hui aucun allié sérieux.
Disposant déjà d’une force militaire considérable (avec des sous-marins équipés de l’arme nucléaire), Benyamin Netanyahou et les dirigeants israéliens peuvent compter sur celle sans équivalent des États-Unis.
La Russie entretient également des relations cordiales avec l’État hébreu et laisse les avions israéliens bombarder impunément les forces iraniennes – qui sont pourtant les alliées de Moscou – en Syrie. L’Inde de Narendra Modi s’est rangée, avec armes et bagages, de son côté. La Chine construit deux ports à Haïfa et à Ashdod. Quant aux pays européens, ils ne font que quelques déclarations sans conséquences.
Quels pays restent encore aux côtés du peuple palestinien ? Les pays arabes, si faibles ? Même pas. Ils ne lui manifestent leur solidarité qu’à travers des paroles creuses, et la plupart ont noué des liens importants avec Israël.
Seul l’Iran n’a pas hissé le drapeau blanc. Mais Téhéran ne déclenchera pas au profit des Palestiniens une guerre qu’il paierait très cher – sauf si Israël l’attaquait, et ce serait alors une véritable apocalypse. Sans compter que l’Iran chiite est détesté par les pays sunnites, comme la Palestine.
Solitude radicale
Les Palestiniens sont donc confrontés à une solitude radicale, désespérante. Que peuvent-ils faire ? La lutte armée ? Envoyer quelques roquettes depuis Gaza ? Cela entraînera de terribles représailles, potentiellement pires que dans le passé, avec la déportation de milliers de personnes vers la Jordanie, le fameux transfert déjà programmé.
Quelques coups de poignard aveugles, des actions terroristes ? On sait depuis longtemps que les actions de ce genre sont totalement inefficaces. Boycotter l’économie de l’État hébreu ? Le moindre ordinateur est truffé de composants israéliens…
Cette situation catastrophique a une origine : l’illusion d’une solution à deux États qui devrait réparer l’erreur irréparable de 1947, un refrain dont on a oublié les paroles et qu’affectionnent les chancelleries impuissantes. Il faut renoncer à ce rêve de Bantoustan, indigne des Palestiniens comme des Israéliens. Ce renoncement se traduirait par le rejet des accords d’Oslo, que l’État hébreu n’a jamais respectés. Car vivre dans une illusion affaiblit celui qui s’enferme dans cette vision.
Alors que faire ? disait ce bon Lénine. En reconnaissant sa défaite, le peuple palestinien acquerrait, paradoxalement, une force nouvelle. Ce serait sa véritable renaissance. Les Arabes israéliens montrent d’ailleurs la voie. Grâce à la constitution d’une liste unique (où figure un Juif communiste) pour les prochaines élections législatives, ils obtiendront 10 % à 15 % des sièges à la Knesset, et cette représentation va peser lourd dans les décisions de l’Assemblée.
Fin du sionisme
Le moment est peut-être venu de placer comme objectif unique l’idée d’un État binational, laïc et démocratique autour du principe : un homme, une voix. Dans l’état démographique actuel, les Palestiniens auraient alors plus de 40 % des sièges. Cet État serait de type confédéral, sur le modèle helvétique, avec ses cantons. Il aurait une constitution dont les termes devraient être négociés pied à pied. Il pourrait être baptisé République de Canaan, avec Jérusalem pour capitale.
Ce projet est déjà celui de beaucoup de Palestiniens. Il est aussi celui de quelques Israéliens. Contrairement à Theodor Herzl, qui fonda le sionisme en déclarant que « la Palestine était une terre sans peuple pour un peuple sans terre », le père de l’hébreu moderne, Ben Yehuda, qui vécut à Jérusalem vingt ans avant l’arrivée des premiers sionistes, avait, lui, compris que le peuple palestinien existait bel et bien et avait imaginé la solution helvétique pour la Palestine ottomane.
Cet objectif généreux ne s’atteindra que par une longue et dure lutte politique, mais il s’attirera de nombreuses sympathies dans le monde. L’Europe endormie s’éveillera alors. Ce sera aussi la fin de l’idéologie sioniste, laquelle, avec le temps, a pris le caractère délirant d’un nationalisme sans frein. La fin aussi d’un messianisme de pacotille. Oui, Messieurs Trump, Netanyahou et consorts, vous pouvez garder votre plan ridicule, nous avons mieux à vous proposer : la République de Canaan.
En reconnaissant sa défaite devant César, Vercingétorix jeta les bases d’une future grande nation, laquelle, avec le temps, devint plus forte que celle du vainqueur. La République de Canaan pourrait bien devenir, comme la Suisse, le pays où il fait bon vivre. Les enfants d’Ismaël et d’Isaac* construiraient ensemble la belle oasis du Vivant qui me voit. Une pure utopie ? Mais avez-vous mieux à proposer que le malheur et les destructions ? À ce projet, une seule condition : que le peuple palestinien le veuille.
* Ismaël et Isaac, ou la possibilité de la paix, éditions Premier Parallèle, 150 pages.
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