Vers un nouvel ordre régional ?

Les chefs d’État ont décidé de revoir l’architecture de l’organisation. À commencer par la place et le rôle de chaque pays membre.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Obiang Nguema Mbasogo ne pouvait espérer mieux. Pour boucler sa présidence à la tête de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le président équatoguinéen a reçu un cadeau à la mesure de ses nouvelles ambitions régionales. L’équipe nationale de football de son pays, jusqu’ici vierge de tout titre international, a remporté, le 14 mars, la finale de la coupe de la Cemac aux dépens de la sélection du Cameroun. Une victoire obtenue à Bata, la métropole continentale, devant les chefs d’État voisins venus assister à la 7e Conférence de l’organisation.
Une fois n’est pas coutume, Obiang Nguema Mbasogo a réussi le difficile pari de rassembler tous ses pairs (Paul Biya, Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso, Idriss Déby Itno et François Bozizé) et d’y associer Fradique de Menezes, président de São Tomé e Príncipe. Une présence exceptionnelle liée sans doute à la venue d’un invité d’honneur, le directeur général du Fonds monétaire international, Rodrigo de Rato, et à l’enjeu de la rencontre : la réforme des institutions communautaires.
Lors du précédent sommet, en juin 2005, à Malabo, Obiang Nguema Mbasogo avait obtenu la réalisation d’un audit juridique et financier des organes de la Cemac. Une étude confiée aux cabinets sénégalais Performance Management Consulting, pour la partie institutionnelle, et au français Deloitte, pour les questions comptables. Les résultats soumis à huis clos aux chefs d’État sont sans concessions : les entraves à la libre circulation des biens et des personnes sont multiples, les barrières douanières et non tarifaires nombreuses. Les projets d’intégration (routes, compagnie aérienne régionale) avancent au mieux très lentement, au pire doublonnent. Ainsi le Douala Stock Exchange, marché boursier du Cameroun, fait de la concurrence à la Bourse régionale des valeurs mobilières d’Afrique centrale installée à Libreville. Hormis la stabilisation financière, les organes régionaux ne jouent donc pas leur rôle, et les règles de fonctionnement sont loin d’être équitables. Les experts dénoncent aussi le déséquilibre dans la répartition des postes à la tête de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) et de la Cemac. Sont notamment en cause le principe tacite selon lequel le gouverneur de la Beac est un Gabonais, le vice-gouverneur un Congolais et le secrétaire exécutif de la Cemac un Camerounais.
Fort de sa nouvelle puissance financière – Malabo possède 47 % des avoirs de la Beac sur le compte du Trésor français -, Obiang Nguema a fait admettre à ses pairs la nécessité de faire évoluer les organes communautaires. El presidente s’est vu confier le soin de diriger personnellement le comité stratégique qui doit élaborer et conduire le programme des réformes préconisées par les audits. Une mission de deux ans pour mettre en place la nouvelle architecture de la Cemac.
Partant du modèle de l’Union européenne, la Cemac devrait se doter à terme d’une grande commission avec des commissaires sectoriels s’occupant des dossiers d’intégration comme les transports, le commerce, etc. La présidence tournante de la Cemac serait maintenue, à charge au chef de l’État l’assurant de dynamiser les projets. Reste à trouver les financements, alors que plusieurs pays membres accusent des arriérés importants.
La Beac pourrait également se doter d’un deuxième vice-gouverneur, proposé à la Guinée équatoriale. On parle de Balthazar Engonga Edjo, le ministre de l’Intégration régionale et ancien conseiller du président Obiang pour occuper la fonction. La succession de Jean-Félix Mamalepot, le gouverneur (gabonais) de la Banque centrale, serait également à l’ordre du jour, tout comme l’instauration d’une rotation du poste entre les pays. Il n’est un secret pour personne que le Gabonais est dans le collimateur des autorités de Malabo. Elles lui reprochent d’avoir retardé le travail des auditeurs en leur refusant l’accès aux comptes de l’institution en décembre dernier, et de bloquer les négociations sur une meilleure rémunération des avoirs de la Guinée équatoriale. Le secrétaire exécutif de la Cemac, le Camerounais Jean Nkuete, serait également sur la sellette, plusieurs chefs d’État lui reprochant notamment un manque d’efficacité.
À Bata, Omar Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso, le nouveau président en exercice de l’Union africaine, ont accepté de s’engager dans la voie des réformes. Mais ils ne cachent pas, en privé, un certain agacement vis-à-vis de leur hôte qui bouscule l’ordre établi. À leurs yeux, Obiang Nguema oublie un peu vite les services que ses pairs lui ont rendus à l’époque le pétrole ne coulait pas encore au large de l’île de Bioko Paul Biya, pour sa part, est ravi de la tournure que prennent les événements. Le chef de l’État camerounais, dont les relations ne sont pas au beau fixe avec ses voisins congolais et gabonais, n’est pas mécontent de trouver un nouvel allié de poids pour contrecarrer leurs velléités hégémoniques. Tout au long de la rencontre, les présidents camerounais et équatoguinéen ont fait assaut d’amabilités. Obiang Nguema a même été jusqu’à dépêcher un de ses médecins personnels pour veiller sur Paul Biya, saisi d’un léger malaise un peu avant la cérémonie de clôture.
Les autres participants, le Centrafricain François Bozizé et le Tchadien Idriss Déby Itno, ont observé en silence le grand manège des leaders de la sous-région. Du reste, les deux hommes n’ont pas traîné à Bata, ne restant guère plus de vingt-quatre heures. Officiellement, le président Bozizé a regagné son pays pour assister aux cérémonies du troisième anniversaire de son arrivée au pouvoir, le 15 mars. Le président tchadien Idriss Déby Itno a, lui, précipitamment quitté le sommet dans la nuit du 15 mars pour rejoindre en urgence N’Djamena. À cause, dit le gouvernement, d’une tentative de coup d’État (voir « Focus »).
Une nouvelle fois, les questions de sécurité régionale sont donc venues troubler les débats. Si les chefs d’État ont réaffirmé leur soutien au président Bozizé dans leur communiqué final, aucune mention particulière n’a été adressée à leur homologue tchadien. Ce dernier n’en devient pas moins le nouveau président en exercice de la Cemac l’année à venir. Son départ précipité l’a empêché de recevoir en bonne et due forme les rênes de l’institution des mains d’Obiang Nguema. Pour la durée de son mandat, c’est, de toute façon, le chef de l’État équatoguinéen qui pilotera les grandes réformes de la communauté.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires