« Un simulacre de funérailles »

Par Françoise Gründ, anthropologue française.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Quels personnages historiques se cachent derrière les masques du Tchiloli ?
Françoise Gründ : Dans le contexte de l’époque de création, Charlemagne est le roi du Portugal, João III. Il est lointain, bon, probablement juste, mais il se préoccupe peu des habitants de São Tomé. Le prince Carlotto est le gouverneur portugais de São Tomé, un homme cruel et profiteur. Le marquis de Mantoue est en réalité le chef des « fils de métis », les nouveaux habitants de l’île issus de l’union des Blancs et de leurs esclaves de maison. Il porte le premier ferment de revendication pour l’indépendance, en exigeant – et obtenant – justice.
Il y a aussi un aspect religieux
Bien sûr, mais soigneusement caché. En fait, toute la pièce est un simulacre de funérailles. La seule façon d’exister, pour les mulâtres et les esclaves, était de continuer à honorer leurs ancêtres. Les colons portugais ne permettaient pas que l’on batte le tambour, ni qu’on arrose le sol de vin de palme. Les rites de possession leur faisaient peur et ils prenaient soin de reléguer les tombes loin des maisons, dans les cimetières. Le groupe de Tchiloli s’est substitué aux gardiens des rites funéraires.
Quels sont les signes qui permettent de décrypter le message ?
La gestuelle, inspirée des pavanes, des menuets et des quadrilles européens, présente quelques particularités : les jambes raides et la démarche saccadée de certains acteurs, leurs doigts écartés et tendus, leur tête portée en arrière, certaines danses effectuées à reculons Nous sommes dans un processus semblable à celui des marionnettes, objets magiques venus du monde des morts. Parfois, il y a des appels aux ancêtres, des coups de talon, des « lancers de voix » particuliers, de brusques volte-face, toutes les entrées et sorties des acteurs sont codées comme on le fait, en Afrique, pour les sanctuaires. La scène, rectangulaire, représente la terre, plate-forme transparente à travers laquelle les comédiens voient et parlent avec les ancêtres.
Les spectateurs sont-ils tous conscients de la portée mystique de ce spectacle ?
S’ils ne la connaissent pas, du moins la sentent-ils instinctivement. Dans chaque village existe une petite chapelle, avec un saint local, honoré une fois par an. À La Formiguinha de Bõa Morte, on porte, à la tête des processions tous les 22 janvier, saint Jean-Jean, détenteur des secrets mystiques.
Le port du masque est aussi symbolique ?
En Europe, à la renaissance, les comédiens portaient des masques. Par ailleurs, les acteurs du Tchiloli sont noirs et jouent un drame de Blancs, ils portent donc des masques clairs. C’est une seconde peau, car tout le monde sait que les morts n’ont pas de peau C’est aussi une armure permettant de résister aux mauvais sorts, comme les petits miroirs dont sont constellés les costumes et les coiffes. Ceux-ci se chargent aussi des influences bénéfiques pour le village. Tout de suite après une représentation de Tchiloli, les acteurs vont se déshabiller et rangent tout leur attirail dans une petite case soigneusement fermée à clef. Nous ne sommes pas loin de la case sacrée que l’on trouve partout sur le continent.
D’où vient le mot « Tchiloli » ?
Il y a plusieurs hypothèses : Tchiloli serait la déformation de « tiroulirouli », nom d’une petite flûte de la région de Porto. Certains africanistes affirment que le mot vient plutôt d’un type de marionnettes, appelées tchi-lo-li ou tchi-li-li, d’origine togolaise, que l’on sort dans les rues au moment des funérailles. D’autres pensent qu’il s’agit du mot « tragédie » déformé. Une quatrième version, enfin, penche pour « théorie », qui signifie « ambassade » ou « itinéraire ».

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