Émancipées !

Plus que dans tout autre pays arabe, les femmes ont su conquérir leur liberté.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

La célébration, le 8 mars 2006, de la Journée internationale de la femme a revêtu une signification particulière pour les Tunisiennes. 2006 est, en effet, l’année où la Tunisie s’apprête à fêter en même temps le cinquantième anniversaire de l’indépendance et celui du code du statut personnel. La coïncidence des dates éclaire du reste sur la spécificité d’un pays qui a su associer d’emblée le projet d’une nation libre à celui d’une société où les femmes sont partie prenante de la vie publique.
Ce processus d’émancipation, qui a certes bénéficié de l’euphorie de l’indépendance, n’est pas né du jour au lendemain. L’histoire de la Tunisie compte de grandes figures féminines, telles que Sophonisbe, Didon, El-Kahina ou Saïda al-Manoubia, mais aussi des usages inédits en terre d’islam, comme « le contrat de mariage kairouanais », qui, au VIIIe siècle déjà, autorisait une femme à se séparer de son époux ou à exiger la monogamie. La promotion de la condition des femmes fut également le fait de certaines familles tunisiennes qui, dès le XIXe siècle, eurent le courage d’envoyer leur progéniture féminine à l’école, au grand dam des conservateurs. Filles d’oulémas et de notables, telles que Bchira Ben Mrad ou Manoubia Ouertani, elles seront les premières à refuser le voile et elles s’engageront dans la résistance, payant parfois de leur vie la lutte pour l’indépendance.
À cela il faut ajouter les écrits de Tahar Haddad et son fameux Notre femme selon le droit musulman, publié en 1929, où le théologien exhorte ses compatriotes à accorder aux femmes des droits fondamentaux comme celui de travailler ou d’être scolarisées. C’est dans ces écrits que le futur président, Habib Bourguiba, trouvera matière pour la défense du deuxième sexe.
Quelques semaines après son accession à la tête de l’État, Bourguiba réunit sept conseils ministériels sur le dossier et initie, le 13 août 1956, la tentative la plus radicale d’émancipation féminine en terre musulmane. L’acte fondateur de la libération des Tunisiennes, c’est le code du statut personnel. Ses mesures sont révolutionnaires, car elles abolissent la polygamie, la répudiation et le tutorat. Elles renvoient le divorce devant les tribunaux, contraignent le conjoint à quitter la maison et à verser une pension alimentaire. Un planning familial des plus performants permet aux Tunisiennes de contrôler efficacement les naissances.
Trente ans plus tard, le nouveau régime exclut « tout retour en arrière » et fait de la cause féminine la pierre angulaire de sa politique. De 1992 à 1995, une série d’amendements viennent consolider le code. Un Fonds de garantie de la pension alimentaire et de rente du divorce est créé, et les mères sont autorisées à accorder leur consentement au mariage de leur enfant mineur. Le devoir coranique d’« obéissance » de la femme cède la place à la notion de « respect mutuel entre les époux ». La Tunisienne mariée à un non-Tunisien peut désormais transmettre sa nationalité à ses enfants, une première dans le monde arabe. La réforme de 1997 inscrit dans la Constitution une disposition sur la « nécessité pour toute formation politique de respecter les principes énoncés du code du statut personnel ».
En 1998, un mécanisme d’appui aux initiatives économiques des femmes favorise l’entreprenariat féminin, renforce le microcrédit et l’accompagnement des femmes qui s’investissent dans des projets économiques.
De nombreuses institutions veillent à l’application de ces mesures politiques et législatives. Un « ministère chargé des Affaires de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées » voit le jour en août 1993, auquel s’ajoutent plusieurs organismes spécialisés, comme la Commission nationale femme et développement. La nouvelle devise des autorités tunisiennes, « De l’égalité au partenariat », entend renforcer la présence des femmes aux postes de décision et leur offrir de meilleures conditions pour concilier carrière et vie privée. Pour 2006 et les années suivantes, l’effort sera axé sur « la femme et les sociétés du savoir » et « la promotion de la femme rurale ».
Certes, malgré la volonté politique et l’arsenal juridique, il reste des secteurs, comme l’agriculture et l’industrie, où les femmes sont encore mal payées et, si leur rôle dans la prise de décisions est encouragé, elles continuent à être des agents de service plus que des décideurs. Les militantes de la première heure rappellent également que certaines de leurs revendications n’ont toujours pas été satisfaites, notamment l’égalité devant l’héritage. Mais certains phénomènes sociaux font craindre un recul, telle la résurgence du voile ou la tentation récurrente de « moralisation » la vie publique.
Il n’en demeure pas moins que les jeunes Tunisiennes de ce début de siècle semblent sûres de leurs acquis, et – contrairement à leurs aînées – davantage préoccupées par l’amélioration de leurs conditions de vie quotidienne que soucieuses de porter le projet d’émancipation à son aboutissement. Une autre forme de militantisme est née, moins axée sur la « cause des femmes » que sur l’impératif d’atteler le pays au convoi de la modernité et de la démocratie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires