À l’heure du duel

Adrien Houngbédji ou Boni Yayi ? La présidentielle n’est pas jouée d’avance comme elle l’est souvent sur le continent. L’ordre d’arrivée du premier tour ne lève aucune incertitude. Les ralliements tiennent la clé du scrutin.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 6 minutes.

La force tranquille ou l’outsider, le juriste ou le banquier, le candidat de la stabilité ou l’homme neuf : Adrien Houngbédji ou Boni Yayi ? Celui qui emportera le second tour de la présidentielle – vraisemblablement le 22 mars – aura en tout cas dû batailler, tant le match est serré.
Arrivé en tête au premier tour avec 35,6 % des voix, le candidat indépendant Boni Yayi a créé la surprise. Transformera-t-il l’essai ? S’il a pu surfer, pendant sa campagne, sur l’aspiration au changement des Béninois après les deux mandats de Mathieu Kérékou, Boni Yayi doit maintenant convaincre autour de sa personne. Toujours placé, jamais gagnant depuis 1991, Adrien Houngbédji, lui, en est à sa quatrième course à la présidentielle. Même s’il est rompu à l’exercice, sa bonne performance (il a réalisé cette année son meilleur score avec 24,13 % des suffrages) pourrait ne pas être suffisante pour triompher. Il lui faut rassembler au-delà de sa formation, le Parti du renouveau démocratique (PRD). Pour faire la différence, les deux postulants vont devoir dévoiler leurs personnalités. Après trois scrutins présidentiels consécutifs opposant Mathieu Kérékou et Nicéphore Soglo, ce face-à-face inédit impose à ces deux hommes que tout oppose la nécessité de se démarquer. L’équation personnelle du candidat est donc déterminante ; son entourage, fondamental ; et les soutiens qu’il ralliera, capitaux.
Perçu comme un technocrate lisse et un banquier plus habitué des conseils d’administration que de la gestion d’un État, Boni Yayi, accusé de connaître mal son pays, s’est finalement montré très efficace sur les estrades. Sa campagne, jugée au début un peu terne, a fini par décoller. Elle s’est même transformée en redoutable machine à séduire dans le sprint final précédant le premier tour. Conseillé et appuyé par l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU Albert Tévoédjrè, et l’ex-chef de l’État Émile Derlin Zinsou, le président démissionnaire de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a capitalisé sur la frustration d’une frange de l’opinion. « Cette lame de fond a donné naissance à un vote protestataire », disent les siens. Sur fond de pauvreté et de corruption endémique, son slogan « Ça doit changer, ça va changer » a fait des merveilles. La laborieuse fin de règne du Caméléon a donné du crédit à cette candidature de rupture. « Une page se tourne au Bénin, le système craque de partout et le mécontentement est général. Il faut de nouvelles compétences », n’a cessé de répéter ce nouveau venu dans l’arène. Les nombreuses promesses et les gros moyens déployés ont parachevé le travail, tandis que ses détracteurs dénoncent des procédés démagogiques. Son concurrent le premier.
Entouré de ses fidèles lieutenants, Timothée Zannou (directeur de campagne) et Nouréni Tidjani Serpos (directeur général adjoint du département Afrique à l’Unesco), Adrien Houngbédji préfère se présenter comme le candidat de la continuité. Après avoir été de tous les combats électoraux et de plusieurs majorités depuis 1991, le leader de la coalition Tchoco-Tchoco (« Coûte que coûte, quoi qu’il arrive », en fon, l’une des langues du pays), est le produit de la classe politique issue de la Conférence nationale de 1990. En l’absence de Nicéphore Soglo et de Mathieu Kérékou, contraints à la retraite, le candidat du PRD faisait – et fait toujours – figure de favori. « 100 % ensemble, on va gagner », se persuadent ses partisans. Même si ce qui s’apparentait à une voie toute tracée peut se révéler parsemé d’embûches. « Houngbédji incarne aussi les travers de la vie politique, avec des changements successifs d’alliances », commente un observateur rappelant son revirement en 1996 qui avait permis le retour de Kérékou après la parenthèse Soglo. « Je devais exister pour ne pas disparaître », réplique l’intéressé. Avant d’ajouter : « Les gens me connaissent. Avec mes qualités et mes défauts. » Celui qui a été président de l’Assemblée nationale de 1991 à 1995, puis de 1999 à 2003, et Premier ministre de 1996 à 1998 mise sur sa stature nationale.
À l’inverse, « Yayi tente le même coup que Soglo », estime un journaliste béninois. Au début des années 1990, l’économie du pays était à genoux, la Conférence nationale suscitait de l’espoir, le fonctionnaire international venu de la Banque mondiale qu’était Soglo avait remporté la magistrature suprême. Le néophyte Yayi – sous-estimé par la classe politique – a misé sur la répétition de l’Histoire : se présenter en homme « propre et neuf », tout en connaissant parfaitement le jeu et les règles. Conseiller du président Nicéphore Soglo de 1992 à 1994, le docteur en sciences économiques diplômé de Paris-Dauphine (1991) en avait alors profité pour nouer des amitiés, découvrir les arcanes du pouvoir, et saisir les subtilités d’un pays qui compte une centaine de partis politiques. À la tête de la BOAD de 1995 à 2006, il a ensuite tissé un réseau régional et acquis une légitimité internationale. Après onze années passées à la tête de l’institution, il est, par exemple, en bons termes avec la famille Gnassingbé et le pouvoir togolais. « Yayi est devenu celui qui construit les ponts et qui connaît les bailleurs de fonds », ajoute un observateur béninois. Le banquier joue sur tous les registres. Ses premières visites de terrain ont commencé, discrètement, il y a deux ans. D’abord dans le Nord, ses terres et celles du président sortant. Objectif : se forger une popularité et rencontrer les barons locaux. Parallèlement, il a inauguré nombre de réalisations financées au Bénin par la BOAD. La route entre Cotonou et Porto-Novo et les projets d’électrification pour pallier les insuffisances de la Société béninoise d’eau et d’électricité (SBEE) ont été de ce point de vue de formidables alliés. « Les projets de la BOAD au Bénin pourraient être ajoutés au budget de campagne de Boni Yayi ! » estime un diplomate.
C’est davantage sur la proximité avec la population et sa connaissance du pays profond que peut tabler Adrien Houngbédji. Docteur en droit de l’université de la Sorbonne, à Paris, diplômé de l’École nationale d’administration, magistrat à Cotonou puis avocat contraint à l’exil au Gabon de 1976 à 1989 sous le régime Kérékou, il n’a eu de cesse d’insister sur cette relation presque intime nouée avec ses compatriotes. Son discours simple lui permet de ratisser large ; ses origines – yorouba par son père et fon par sa mère -, de se présenter comme un rassembleur. Le soutien que lui apportent les rois d’Abomey et de Porto-Novo a flatté un électorat fier de ses racines. « Mon implantation et ma campagne de terrain sont un atout », estime le candidat. Si cette posture demeure très efficace dans son fief, l’Ouémé et le Plateau, à la frontière avec le Nigeria, Houngbédji a malgré tout été distancé dans le Nord. À Cotonou, il espérait profiter des dissensions au sein de la Renaissance du Bénin (RB) pour assurer un nouveau leadership et y succéder à Nicéphore Soglo. Finalement, c’est Yayi qui arrive en tête dans la capitale.
Malgré le bon score national de ce dernier, rien n’est joué. « Boni Yayi a fait le plein des voix, tandis qu’Adrien Houngbédji jouit encore d’une forte marge de progression. La politique et les logiques d’appareils vont faire la différence », déclare l’entourage d’Houngbédji. Et là, l’homme du sérail ne manque pas d’atouts. Le PRD compte 11 députés à l’Assemblée nationale sur un total de 81 et les autres parlementaires font l’objet de toutes les convoitises de la part des deux protagonistes.
Ce sont surtout les ralliements du front des battus qui compteront. L’ancien ministre d’État chargé du Plan, Bruno Amoussou, chef de file de l’Alliance Bénin nouveau (ABN) est arrivé troisième. Influent et habile à la manuvre pour constituer des majorités, son alliance vaut de l’or. Le premier adjoint à la mairie de Cotonou, Léhadi Soglo (RB) est en quatrième position et apporte avec lui la caution de son père. Quant au cinquième, Antoine Kolawolé Idji (Mafep), il est le président de l’Assemblée nationale.
À eux trois, ils pèsent près de 900 000 voix alors que seuls 250 000 suffrages ont séparé les deux premiers. De quoi faire monter les enchères. Et à ce petit jeu, Houngbédji part avec une longueur d’avance. La cuisine politicienne est un art qui exige un minimum d’expérience. Un long passé permet de négocier d’opportuns renvois d’ascenseur. En attendant, le secret des urnes reste entier.

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