Gbagbo & Co

Les péripéties de la crise qui secoue le pays ont favorisé la redistribution des rôles dans l’entourage du chef de l’État. Ce nouveau casting a donné naissance à un noyau dur composé de valeurs sûres et de relais à l’étranger. Revue de détail de la garde

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 9 minutes.

Du visage de la capitale économique, Abidjan, au goût de vivre des Ivoiriens, de l’économie à l’image de la Côte d’Ivoire tout dans la vie du pays d’Houphouët a subi l’impact de la crise qui le secoue depuis septembre 2002. L’entourage du chef de l’État, Laurent Gbagbo, n’a pu être épargné. De remises en question en recompositions, de séparations en rapprochements, la galaxie Gbagbo s’est reformatée au fil des péripéties de ce conflit. En ce mois de mars, elle se resserre autour du patron, dont les adversaires semblent s’engager dans la préparation de l’échéance électorale prévue en octobre 2006 : investiture de l’ex-chef de l’État, Henri Konan Bédié, comme candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à la présidentielle ; renouvellement des instances du Rassemblement des républicains (RDR) en prélude à la convention qui doit adouber l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara ; retour au gouvernement de Guillaume Soro, leader de la rébellion des Forces nouvelles (FN)
Quarante-deux longs mois d’épreuves ont fini de former le noyau dur du pouvoir. À son cur, sans nul doute la première dame, Simone Ehivet Gbagbo. Vice-présidente du Front populaire ivoirien (FPI, aux affaires), et présidente du groupe parlementaire de cette formation, l’épouse et camarade de lutte du numéro un ivoirien depuis les années de clandestinité conserve une grande influence qui se fait, aujourd’hui, plus discrète. Probablement pour casser l’impression de dualité au sommet de l’État. À moins que ce ne soit un leurre.
Si Simone (comme l’appellent ses compatriotes) s’efface de plus en plus derrière son président d’époux, elle est de tous les cercles où se prennent les décisions. L’illustration en a été donnée, à la mi-janvier, au cours des manifestations des Jeunes Patriotes, qui ont paralysé Abidjan pour protester contre la décision du Groupe de travail international (GTI) de ne pas proroger le mandat des députés, arrivé à expiration le 16 décembre 2005. Le 18 janvier, alors que Gbagbo reçoit son homologue nigérian Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’Union africaine, en présence du Premier ministre Charles Konan Banny, Simone prend la parole et apostrophe l’hôte de son mari : « Monsieur le Président, si on veut être logique, on ne peut pas prolonger d’un an le mandat du chef de l’État et ne pas en faire autant pour l’Assemblée nationale. Il faut profiter de votre visite ici pour rappeler au GTI que la Côte d’Ivoire est un pays indépendant, doté d’institutions qu’il doit respecter. »
Le propos égratigne Pierre Schori, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et coprésident du GTI, présent au conclave. Et satisfait un autre poids lourd de la garde rapprochée de Gbagbo : le président de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, connu pour ses positions extrémistes qui font froid dans le dos.
Même moins provocateur que dans un passé récent, ce dernier n’en conserve pas moins toute son influence. Idéologue du régime, fournisseur des Jeunes Patriotes en thèses souverainistes, Koulibaly, dont la résidence est à une centaine de mètres de celle de Gbagbo, vient souvent partager un repas ou se concerter avec « le chef ». Proche parmi les proches, ce Dioula musulman né il y a quarante-neuf ans à Azadié, à quelque 50 km au nord d’Abidjan, dit tout haut ce que Gbagbo pense tout bas. Il est aussi lié au président que l’est son épouse, Limata, à la première dame.
Beaucoup plus jeune, mais séide parmi les séides : Charles Blé Goudé, 34 ans, leader des Jeunes Patriotes, le bataillon de la rue du chef de l’État. Entre ce dernier et ce jeune Bété – comme lui – de Guibéroua, la relation relève du psychologique. Autrefois délaissé au profit de Guillaume Soro pour diriger la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), Blé Goudé s’est retrouvé à défendre le pouvoir de Gbagbo contre une rébellion dirigée par Soro. Et de façon plus résolue que d’autres chouchous du chef de l’État, tels l’ex-président de la Jeunesse du Front populaire ivoirien (JFPI), Damanan Picasse, ou son successeur, Navigué Konaté. Comme pour réparer une injustice, le « fils » autrefois mal aimé est aujourd’hui plus que choyé. Blé Goudé est l’un des rares à avoir accès aux appartements privés du couple présidentiel. Sans doute aussi l’un des rares de son âge à être sous le coup de sanctions onusiennes, il occupe au sein du régime une place à la mesure des risques qu’il prend pour le sauvegarder.
Au fil de la crise, Gbagbo a resserré les rangs autour de lui, pour ne s’entourer que d’inconditionnels. Tels son neveu et conseiller faisant office de ministre de la Défense de fait, Bertin Kadet, son oncle Laurent Ottro, franc-maçon et époux de Sarata Touré-Zirignon, la directrice adjointe du cabinet présidentiel. Laquelle « gère » les rapports de son patron avec le monde anglo-saxon, veille sur l’axe Pretoria-Abidjan, porte les messages à Obasanjo, entretient les contacts avec les lobbies aux États-Unis – comme celui de Bob Dole, candidat républicain malheureux contre Bill Clinton à la présidentielle de 1996, souvent sollicité par le pouvoir d’Abidjan.
Toujours au rang des fidèles, le magistrat Désiré Tagro, conseiller juridique de Gbagbo devenu son porte-parole, de plus en plus sollicité pour des tâches délicates. Mais aussi le directeur du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, également familier du chef de l’État. Et Philippe Mangou qui, à la faveur de la guerre, demeure sans conteste celui qui s’est le plus étroitement rapproché de ce dernier. Quasiment inconnu de Gbagbo avant la crise, cet Ébrié (région d’Abidjan) s’est fait remarquer par sa détermination à mener l’opération « Dignité », lancée le 4 novembre 2004 pour reconquérir les territoires occupés par la rébellion. Au poste de commandant du théâtre des opérations, le colonel Mangou, qui était en contact continu avec Gbagbo tout au long de l’assaut, a été élevé le 13 novembre 2004 au rang de chef d’état-major, en remplacement de Mathias Doué, jugé responsable de l’échec de l’offensive. Avant d’être bombardé général de brigade par décret présidentiel.
Dans ce contexte de crise et d’incertitudes propice à un repli sur les proches, le numéro un ivoirien a renforcé ses liens avec certaines de ses connaissances. Parmi ces « amis du président », fréquents à son palais et à sa table, l’architecte ivoirien d’origine libanaise, Pierre Fakhoury, établi à Paris, bâtisseur de la basilique de Yamoussoukro et futur réalisateur du Mémorial Félix-Houphouët-Boigny qui s’élèvera face au palais présidentiel, à Abidjan ; le rédacteur en chef du quotidien national Fraternité Matin, Jean-Baptiste Akrou ; le propriétaire de la radio abidjanaise Jam FM, François Konian
Sans doute parce qu’il a tenu les cordons de la bourse de janvier 2001 à décembre 2005, Paul-Antoine Bohoun Bouabré est passé de la périphérie au cur du système. L’argent étant le nerf de la guerre, cet homme secret de 59 ans s’est retrouvé dans une position privilégiée pour se rapprocher d’un Laurent Gbagbo soucieux d’acquérir des armes et de faire face aux dépenses imposées par la crise. Mais ce natif de Saioua, près d’Issia, à 40 km de Daloa (Centre-Ouest), point névralgique de la boucle du café et du cacao, n’est pas qu’un pourvoyeur de fonds pour le chef de l’État. Le désormais ministre d’État chargé du Plan et du Développement est l’un des hommes de confiance de Gbagbo. Bété comme ce dernier, né à quelques encablures de Mama, le village natal du chef de l’État, Bohoun Bouabré figure, avec son ex-collègue des Eaux et Forêts, Assoa Adou, parmi les maîtres d’uvre de la diplomatie souterraine d’Abidjan, depuis septembre 2002.
Quelques exemples parmi d’autres. 4 novembre 2004 : l’armée ivoirienne déclenche l’opération « Dignité ». Pendant que les hélicoptères des troupes loyalistes attaquent, l’approvisionnement en eau et en électricité est interrompu sur l’ensemble de la zone sous contrôle des FN. Une bonne partie de la communauté internationale crie au crime de guerre. Joint par Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, Bohoun Bouabré réussit à triompher des durs de l’entourage présidentiel et à tout faire rentrer dans l’ordre. Le 11 novembre 2004, alors que les plaies sont béantes après les sanglants affrontements du 6 au 10 novembre entre les « Jeunes Patriotes » et les militaires de la force française Licorne, c’est lui qui débarque à Paris dans le plus grand secret, rencontre Michel Barnier, alors chef de la diplomatie française, lui remet un message personnel de Gbagbo à son homologue Jacques Chirac. Tandis qu’Abidjan est aux mains des troupes de l’Hexagone, cette démarche contribue à baisser la tension et à sauver le régime en place sur les bords de la Lagune Ébrié.
Mais l’horizon du chef de l’État ivoirien ne se limite pas qu’à la politique et à l’économie. Chrétien pratiquant, converti à l’évangélisme dans les années 1970, et aujourd’hui proche de l’Église américaine Foursquare, la « brebis » Gbagbo a dans son entourage immédiat un « berger » omniprésent. Ingénieur en télécommunications devenu pasteur en juin 1996, Moïse Loussouko Koré, 49 ans, fondateur de Shekinah Glory Memories, fait office de « conseiller spirituel » du chef de l’État. Il n’est pas rare de le voir diriger la prière du couple présidentiel et d’un cercle restreint d’amis. Il ne délaisse pas pour autant les choses d’ici-bas. Au cur du dispositif, ce pasteur original a été parfois chargé de l’acquisition de matériel militaire. Tout comme il en a introduit d’autres dans la galaxie. Ainsi du Marocain Mustapha Aziz, détenteur de plusieurs passeports (libanais, saoudien et diplomatique ivoirien), qui réside à Paris et navigua un moment dans l’entourage de feu le maréchal Mobutu et du président angolais Eduardo Dos Santos. Supposé avoir des relations dans le milieu des marchands d’armes, Aziz a été présenté fin 2002 à Gbagbo, qui cherchait laborieusement à se procurer du matériel militaire.
Au nom de « la défense de la Côte d’Ivoire attaquée », le chef de l’État a réussi à ratisser au-delà de sa famille politique. Des personnalités du PDCI se sont ainsi retrouvées au cur de son dispositif. Ainsi de Laurent Dona Fologo, fondateur d’un Rassemblement pour la paix actif dans la galaxie patriotique. Ostensiblement proche du Palais depuis l’échec de sa tentative de contrôler le PDCI, lors du congrès de novembre 2002, ce Sénoufo de Sinémentiali, dans le Nord, est devenu le missi dominici de Gbagbo qu’il a représenté au sommet de l’UA de Khartoum, en janvier 2006. Hier proche d’Houphouët et de Bédié, Fologo met aujourd’hui son carnet d’adresses en Afrique et en France à la disposition de Gbagbo. Comme d’autres vieux compagnons d’Houphouët (les anciens ministres Mathieu Ekra, Camille Alliali et Maurice Séri Gnoléba) sont aussi fréquents auprès du chef de l’État, qui leur rend également visite.
Mais la guerre n’a pas fait qu’agrandir la galaxie Gbagbo. Elle en a aussi éloigné certains de ses camarades de lutte, et non des moindres. Notamment des « historiques » du FPI écartés après leur sortie du gouvernement imposée par le partage du pouvoir issu des accords de paix. Ainsi de l’ex-Premier ministre, Pascal Affi Nguessan, aujourd’hui réduit à donner de la voix à la présidence du FPI. Il est vrai que Simone ne lui a jamais pardonné d’avoir signé, le 24 janvier 2003 à Marcoussis, un accord qu’elle qualifie de « document subversif, tendant à écarter les institutions élues ». Autrefois très proche, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Aboudrahamane Sangaré, n’est plus aux premières loges. Il a été « casé » à la tête de l’Inspection générale d’État.
Puissant ministre d’État chargé de la Défense et de la Protection civile, limogé en octobre 2002, Moïse Lida Kouassi, 49 ans, a un moment refait surface comme émissaire assidu de Gbagbo auprès de ses homologues libyen et mauritanien. Avant de quitter à nouveau l’entourage immédiat. Tant lui colle à la peau l’étiquette de l’homme qui n’a pas réussi à bouter les rebelles hors de Côte d’Ivoire, celui qui a en quelque sorte perdu la guerre.
La crise a le don de défaire les carrières, de bouleverser les positions de pouvoir et de projeter de nouvelles figures aux avant-postes pour en éloigner d’autres. Symptomatique de cette réalité : Alain Toussaint, omniprésent responsable de la communication de Gbagbo aux premières heures de la crise, a aujourd’hui totalement disparu.

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