Feu à volonté !

Officiellement, les livraisons auraient considérablement baissé depuis 1987 pour certaines catégories de matériels.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Vingt milliards de dollars C’est environ les PIB du Cameroun, du Bénin et du Burkina réunis et plus d’un quart de l’aide publique au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C’est aussi le montant des exportations d’armes dans le monde en 2004. En toute rigueur, la somme exacte, qui est aussi la donnée la plus récente sur la question, est de 19,162 milliards. Mais on a pris l’habitude d’arrondir. « Vingt milliards », le chiffre est plus percutant.
Globalement, les ventes d’armes – les « transferts d’armement », dans le jargon des ministères de la Défense – sont en baisse. Depuis 1987, date à partir de laquelle les dépenses militaires en général ont commencé de décliner (jusqu’en 1998), la décrue est de 56 %. Cette même année, le commerce des armes rapporta 17,7 milliards de dollars à l’Union soviétique. En 2004, ce chiffre n’était plus que de 6,2 milliards de dollars. De leur côté, en 1987, les États-Unis arrivaient en deuxième position du palmarès mondial des exportateurs, juste derrière leur ennemi juré de l’époque. Leurs gains étaient alors de 13,7 milliards de dollars, contre 5,4 aujourd’hui.
Le recul est spectaculaire, mais il ne faut pas se réjouir trop vite. Car les transferts d’armement, mesurés notamment par le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), source des chiffres du présent article, ne prennent en compte que six catégories de matériels : aéronefs, véhicules blindés, artillerie, systèmes radars, missiles et navires. Exit les armes dites « légères », c’est-à-dire celles qu’un homme peut porter à bout de bras, un fusil d’assaut AK-47 par exemple, plus connu sous le nom de son inventeur, Kalachnikov. Ce sont pourtant les plus répandues (voir encadré). Autre bémol inclinant à la prudence : par définition, le trafic n’est pas inclus dans les données officielles. D’après certains chercheurs, les échanges « sous le manteau » représentent 10 % à 20 % du commerce total. Les fameux « 20 milliards de dollars » ne sont donc que la partie émergée de l’iceberg.
Du côté des pays exportateurs, ce sont toujours les mêmes géants qui se partagent le gâteau – amer – des armes. À eux seuls, la Russie, les États-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont assuré 92 % des livraisons en 2004. Comme au bon vieux temps de la guerre froide, on retrouve la Russie en tête, talonnée par l’Oncle Sam. Après quelques années d’errance en deuxième position, conséquence de la chute de l’URSS, Moscou a regagné ses armoiries de puissance militaire. Luc Mampaey, chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip), souligne, dans une note d’octobre 2005, que l’essentiel des exportations russes est composé d’armes datant des années 1970 et 1980. Et, « faute d’investissements suffisants en recherche et développement, poursuit-il, la Russie n’est plus capable d’offrir des matériels technologiquement compétitifs ». Conséquence logique : Moscou pourra difficilement « faire mieux » qu’aujourd’hui, à moins de se lancer dans des programmes de recherche. Son principal client ? La Chine. En 2004, 41 % des exportations russes sont allées vers son voisin extrême-oriental. Encore un domaine où l’empire du Milieu impose sa domination, le pays étant le premier importateur d’armes au monde, à 95 % russes. Depuis 1998, rappelle Luc Mampaey, Pékin a détrôné Taipei et Riyad, qui avaient pour habitude d’occuper tour à tour le premier rang des importateurs. Moscou approvisionne également New Delhi, où 25 % du total de ses ventes sont expédiées. Le sous-continent est fidèle au grand frère russe puisque, sur la période 2000-2004, 78 % des achats d’armements indiens sont d’origine russe.
Pour Washington, la guerre contre le terrorisme a changé la donne. Assurant 31,7 % du commerce mondial, les États-Unis orientent désormais une partie de leur production vers de nouveaux partenaires, le Pakistan par exemple. Autant que la cause idéologique et la lutte contre les « forces du mal », l’argument économique a sa part dans cette relation. Le complexe militaro-industriel joue un rôle important dans l’économie des États-Unis, les cinq groupes majeurs étant en grande partie détenus par des fonds de pension, des petits épargnants en somme. Qui sont aussi des consommateurs, moteurs de la croissance américaine. Le Vieux Continent reste néanmoins le principal client de Washington, avec des achats d’un montant total de 12,5 milliards de dollars entre 2000 et 2004. Comme quoi les liens commerciaux, quand il s’agit de sommes aussi importantes, ne pâtissent pas des différends diplomatiques, sur l’opportunité d’une intervention en Irak, par exemple.
Trois pays assurent la présence de l’Europe parmi les cinq premiers exportateurs : France, Allemagne et Royaume-Uni. À eux seuls, ils ont assuré, en 2004, plus de 24 % du commerce total. D’après le rapport du Parlement français sur les exportations d’armement en 2004, les principaux clients de l’Hexagone sont, sur la période 1995-2004, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, suivis de l’Allemagne et du Royaume-Uni, preuve qu’il est possible d’être à la fois exportateur et importateur. C’est d’ailleurs le cas le plus fréquent, un État ne fabriquant que rarement toute la panoplie de l’armement conventionnel.
Au bout du compte, conclut Luc Mampaey, le principal acheteur d’armes conventionnelles est le monde en développement. C’est aussi celui qui, et le lien est évident, en produit le moins. En 2004, il a reçu plus de la moitié de toutes les marchandises exportées. Cette même année, l’Afrique du Sud est le seul pays subsaharien à figurer sur la liste des cinquante premiers pays exportateurs. Avec 35 millions de dollars de recettes en 2004, la nation Arc-en-ciel assure 0,20 % du commerce mondial. Quelques poussières africaines dans la galaxie des transferts, du moins ceux que l’on connaît.

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