De l’art de préserver la paix sociale

Des négociations salariales sont en cours entre représentants des salariés, des patrons et du gouvernement.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Il fut un temps où, en Tunisie comme ailleurs, les négociations salariales donnaient lieu à des grèves, à des manifestations de rue ou à des occupations d’usines. La situation avait même parfois tendance, ici plus qu’ailleurs, à se compliquer en raison de l’absence de véritables partis d’opposition capables de canaliser le mécontentement. Du coup, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), la centrale syndicale unique, était le centre de ralliement de toutes les contestations.
Ce temps semble révolu. Même s’il arrive que, de temps à autre, les ouvriers s’agitent, surtout dans les secteurs en difficulté, les négociations sociales se déroulent désormais dans une atmosphère moins tendue. Certains y voient la preuve de l’inféodation au pouvoir de la centrale syndicale. D’autres le fruit de la politique contractuelle du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, cette politique s’est traduite par la mise en place de conventions collectives sectorielles (dans le privé) et de statuts (dans la fonction publique), par la révision tous les trois ans de ces textes réglementaires et par la négociation triennale d’augmentations salariales pour les employés du privé et du public. Depuis l’adoption définitive, en 1990, de ce régime triennal, cinq rounds de négociations ont eu lieu entre la centrale syndicale, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), l’organisation patronale, et le gouvernement. Le sixième, qui s’est ouvert en mars 2005, devrait s’achever dans quelques mois.
« Dans le public, nous avons proposé pour la période 2005-2007 une augmentation de 5 % par an destinée à compenser le taux d’inflation (3,6 %) et à rémunérer la part du travail dans la croissance du PIB », explique Mohamed Trabelsi, le secrétaire général adjoint de l’UGTT. L’État souhaitait pour sa part limiter l’augmentation à 1,25 % par an, en raison de la flambée des cours du pétrole, de la crise du textile et des difficultés du tourisme.
Cette contre-proposition ayant été jugée insuffisante, plusieurs grèves ont éclaté dans des secteurs sensibles comme l’éducation, l’enseignement supérieur, la santé et l’agriculture. Mais le dialogue n’a jamais été rompu. Pour écarter la menace d’un affrontement, le gouvernement a avancé une nouvelle proposition : + 2,25 %. « Une ultime réunion entre les représentants du gouvernement et ceux du syndicat n’a pas permis de rapprocher les positions, raconte Trabelsi. Nous étions sur le point de déclencher une grève générale lorsque, le 21 octobre, le président Ben Ali a reçu Abdessalem Jérad, le secrétaire général de l’UGTT. Ensuite, tout s’est accéléré. »
Le gouvernement a fait un nouvel effort en proposant une hausse générale des salaires de la fonction publique de 3,6 % par an, plus 0,2 % pour les employés municipaux, les fonctionnaires de la justice et ceux des travaux publics. Il s’est également engagé à intensifier les recrutements. Dans l’éducation, quelque onze mille nouveaux emplois devraient ainsi être créés en 2006. L’accord signé le 28 octobre 2005 – avec effet rétroactif au 1er juillet précédent – concerne près de quatre cent mille salariés. Or 1 point d’augmentation salariale représente 40 millions de dinars (25 millions d’euros). Pour le budget de l’État, la charge est donc très loin d’être négligeable.
Dans le privé, les négociations ont concerné cinquante-deux conventions collectives et 1,4 million de travailleurs. Les résultats diffèrent sensiblement selon l’importance des secteurs et leur capacité de mobilisation. La direction de l’UGTT, qui n’a pas pris part directement aux pourparlers, a néanmoins fourni aux représentants des fédérations nationales et des syndicats de base divers indicateurs économiques et sociaux, ainsi qu’un argumentaire pour chaque secteur concerné. Elle a aussi négocié avec l’Utica un accord-cadre pour la protection des droits syndicaux et de l’action syndicale au sein des entreprises. L’accord a été signé le 29 décembre au Palais du gouvernement, en présence du Premier ministre Mohamed Ghannouchi et des responsables syndicaux et patronaux.
Au final, les augmentations dans le privé oscillent entre 4 % et 7 % par an. Les plus importantes ont été consenties dans la presse (+ 6,8 %) et la pétrochimie (+ 6 %). Dans le textile-habillement, en revanche, la hausse a été beaucoup plus modérée (3,8 %). Les employés de ce secteur ont observé une grève générale en novembre et organisé, à la fin du même mois, un grand rassemblement devant le siège de l’UGTT. « Dans ce secteur, les experts les plus optimistes prévoient une perte de la moitié des emplois en quatre ans (soit 100 000 postes). Les négociateurs ont donc donné la priorité à la protection ?des entreprises », explique Trabelsi.
Dans les grandes entreprises publiques (transports, pétrochimie, distribution d’eau, d’électricité et de gaz, chimie, métallurgique, mines), qui regroupent plus de 220 000 salariés syndiqués à près de 70 %, la moyenne des salaires est plus élevée qu’ailleurs : 900 dinars (environ 650 euros). Les négociations n’y ont démarré sérieusement qu’en décembre et se poursuivent laborieusement. À ce jour, une seule grève importante a eu lieu, chez Tunisie Télécom, dont 35 % du capital vont être cédés au privé. Les cheminots aussi commencent à s’agiter, mais aucune grève n’est annoncée. « Nous essayons de ne pas intervenir. Tant que les négociations ne sont pas menacées de rupture, nous laissons les choses avancer à leur rythme », explique encore Trabelsi. Selon lui, les derniers accords devraient être signés avant l’été.

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