Chaude alerte pour Déby Itno

Une tentative de coup d’État a échoué de justesse, le 14 mars. De plus en plus isolé, le pouvoir ne se maintient qu’à force d’expédients. Et la présidentielle aura lieu le 3 mai !

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Le 14 mars, peu après 20 h 30, le président tchadien Idriss Déby Itno s’apprête à atterrir à N’Djamena. Les dernières minutes du vol lui paraissent interminables. En effet, il y a urgence.
Quelques heures auparavant, vers 16 heures, il a été informé qu’un coup de force était en préparation au sein de l’escadron blindé de la garde présidentielle, basé à Amsinéné, à la sortie nord-ouest de la capitale. L’unité est pourtant commandée par un officier zaghawa parmi les plus fidèles, le colonel Bokhit Ramadan. Le président se trouvait à ce moment-là à Bata, en Guinée équatoriale, où il participait au sommet de la Cemac, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Son retour n’était prévu que le lendemain, à bord du Fokker 28 de la compagnie Toumaï Air Tchad (TAT).
Pour déjouer le complot, Déby Itno a donc décidé de rentrer le soir même, dans le plus grand secret. À N’Djamena, seuls trois ou quatre de ses collaborateurs ont été mis au courant. Parmi eux, Daoussa Déby, son frère, et Mahamat Saleh Brahim, commandant de la garde présidentielle et compagnon de toujours : il était dans le véhicule du colonel Déby quand, le 1er avril 1989, celui-ci a quitté précipitamment N’Djamena avant d’entrer en rébellion contre Hissein Habré…
Pour tromper l’ennemi, le président a demandé à la délégation qui l’accompagne – et notamment à Hynda, sa nouvelle épouse devenue depuis peu sa secrétaire particulière – de rester à Bata. Surtout, il a changé d’avion. Son ami gabonais Omar Bongo Ondimba lui a prêté son petit jet. Les insurgés attendent un Fokker. Ce sera un Grumman.
Avant d’embarquer, Déby Itno a pris soin de téléphoner à l’Élysée pour demander aux Français de sécuriser l’aéroport de N’Djamena. Le dispositif Épervier a été mis en alerte. Trois hélicoptères et plusieurs blindés français ont été déployés à proximité de la piste d’atterrissage. Selon des témoignages recueillis par l’AFP, un blindé du détachement Épervier a pris position en ville, à un rond-point situé dans l’axe de la piste.
À 18 heures, le Grumman décolle de Bata. Une heure et demie plus tard, l’avion appelle la tour de contrôle de N’Djamena. L’ancien pilote militaire qu’est Idriss Déby Itno connaît la musique. Le commandant de bord reçoit pour consigne de communiquer l’immatriculation de l’appareil, mais sans souffler mot de l’illustre passager qui se trouve à son bord. On n’est jamais trop prudent : les insurgés ont peut-être les moyens d’écouter les fréquences air entre l’appareil et la tour. Pas question, donc, de prononcer les formules rituelles : « Tchad 001 » ou « VIP on board » (« Personnalité très importante à bord »).
À 20 h 30, le Grumman entame sa procédure d’approche à la verticale du camp des insurgés. Grand silence dans l’avion. Dix minutes plus tard, l’appareil se pose sans encombre. Trente ans après, les cours suivis par le sergent Déby à l’école militaire de pilotage d’Hazebrouck, dans le nord de la France, ont peut-être servi à quelque chose
Question : les rebelles ont-ils vraiment tenté d’abattre l’appareil du président, comme celui-ci les en accuse ? Tom Erdimi, le cerveau de la rébellion, le nie farouchement. « Les Tchadiens n’ont jamais utilisé ou même pensé à ce genre d’actes terroristes, réprouvants (sic), tels l’explosion d’un avion en plein vol. Ils n’existent que dans l’imagination fertile de Déby », fait-il savoir depuis Houston, Texas, où il s’est exilé. L’ancien directeur de cabinet de Déby Itno conteste même l’existence d’une quelconque tentative de coup d’État : « Le colonel Bokhit Ramadan et ses hommes, dit-il, ont fait une tentative de sortie en masse pour rejoindre, dans l’est du pays, les généraux Sebi Aguid et Issaka Diar, qui avaient déserté le mois dernier. »
Le problème, c’est qu’un autre chef rebelle dit exactement le contraire. « Nous avons essayé de chasser le président de N’Djamena, mais notre plan a été révélé par des agents secrets. Nos hommes ont dû l’annuler et quitter la ville », a reconnu Yaya Dillo Djerou, le porte-parole du Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie (Scud), dans une première déclaration à chaud à l’agence Reuters. Depuis trois mois, les rebelles répètent que Déby Itno n’a plus personne pour le défendre, sauf les soldats français. Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi une unité d’élite comme l’escadron blindé de la garde présidentielle aurait préféré la fuite au coup de force
En fait, ce 14 mars, de l’aveu même d’un proche du chef de l’État, « la partie a été très serrée ». Les insurgés ont été trahis par trois des leurs. « Pas facile de garder un secret dans le clan zaghawa quand la cible est elle-même un Zaghawa », commente un connaisseur. Quand le colonel Bokhit Ramadan a compris que le coup était éventé, il a quitté à la hâte le camp d’Amsinéné et s’est caché en ville. Ensuite, ses partisans l’ont rejoint et tous sont partis vers 1 heure du matin à bord d’une dizaine de véhicules. Direction : la frontière soudanaise, à l’est. Deux officiers rebelles ont été moins chanceux. Le colonel Eggrey Mahamat et le commandant Ali Anour ont été faits prisonniers. Pas un coup de feu n’a été tiré, mais l’alerte a été chaude.
Bien sûr, le coup du 14 mars évoque irrésistiblement celui du 16 mai 2004. Il y a deux ans, déjà, des officiers membres du clan zaghawa avaient tenté de renverser le chef, voire de l’assassiner. Mais, depuis, le cercle des officiers fidèles s’est réduit comme peau de chagrin. En 2004, c’est Bokhit Ramadan qui avait ramené les insurgés à la raison. Cette année, le même homme a pris la tête du complot. Surtout, les frères Erdimi ne sont plus à portée de main dans leurs villas de N’Djamena. Tom est au Texas, et Timane à la frontière soudanaise, après avoir séjourné quelques semaines durant au Burkina, au mois de janvier. Bref, les rebelles s’organisent et tissent des liens au Soudan et en Afrique de l’Ouest.
Face au péril, Idriss Déby Itno joue la carte du renseignement. Il a mis en place une police secrète efficace et bien payée, et tente de négocier des ralliements au prix fort. Mais il sait qu’il ne s’agit là que d’expédients. Pour retrouver une nouvelle légitimité, il a décidé de maintenir l’élection présidentielle à la date prévue, le 3 mai. Comme si le pays n’était pas au bord de la guerre civile L’opposition non armée pose ses conditions. Elle ne participera au scrutin que si les listes électorales sont révisées. Surtout, elle s’interroge sur la raison d’être de la consultation. « En voulant coûte que coûte ignorer la situation explosive du pays, le président Déby Itno et tous ceux qui le soutiennent engagent un processus de mise à feu du pays », estime la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC).

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