Charlemagne à la mode santoméenne

Derrière le spectacle haut en couleur du Tchiloli se cache une invocation des ancêtres, dont le culte était interdit par les colons portugais.

Publié le 21 mars 2006 Lecture : 2 minutes.

Sur la scène, on ne voit d’abord qu’une petite caisse noire, un cercueil posé, solitaire, au centre d’une aire de jeu si vivement éclairée qu’elle semble attendre quelque chose. Lorsque les comédiens et les musiciens apparaissent, le spectateur est brusquement transporté loin du théâtre, dans l’île de São Tomé, à La Formiguinha de Bõa Morte, village d’origine de l’une des dernières troupes de Tchiloli. Celle-ci est de passage à Paris, au Festival de l’imaginaire, pour interpréter la célèbre Tragédie du marquis de Mantoue et de l’empereur Charlemagne, la seule et unique pièce au répertoire santoméen.
Masqués ou à visage découvert, les acteurs sont vêtus de fracs, de capes de velours ou de robes à vertugadin, et leurs mains gantées tiennent capes à pommeau, épées de bois ou éventails de dentelle fine. Ils virevoltent au son des flûtiaux et des tambours et, lorsqu’ils parlent, c’est dans une langue étrange que seuls les ?vieux comprennent encore, du portugais ancien, la langue de Baltasar Dias, poète aveugle qui vécut dans l’île de Madère au XVIe siècle. Le dramaturge réécrivit en octosyllabes tout le cycle de Charlemagne, un pur produit du Moyen-Âge occidental, né au XIe siècle avec l’Arioste, enrichi au XIIe avec la chanson d’Ogier le Danois, complétée par l’histoire des quatre fils Aymon, nobles et vaillants chevaliers.
De chez Dias, ces épisodes ont vogué vers l’île de São Tomé, dans les poches des baladins portugais que le hasard ou la nécessité conduisaient jusque sur ses rivages. Ils ont été joués sur le perron des maisons des maîtres-sucriers, lieux traditionnels des réjouissances privées dès la fin du XVIe siècle, devant familles et amis, mais aussi sous les yeux des métis et des esclaves. Les textes ont été recopiés dans de gros cahiers et conservés par les prêtres catholiques. Ceux-ci, souvent métis, les ont transmis aux villageois, qui les ont rejoués à leur manière.
Des textes apocryphes ont été ajoutés au fil des siècles, mais le récit reste simple : Carlotto, fils de Charlemagne, devient meurtrier par amour. Il tue le neveu du marquis de Mantoue. La famille Mantoue réclame alors justice et finit par l’obtenir de Charlemagne qui, déchiré, ordonne la mise à mort de son fils.
Ce théâtre musical et dansé pourrait n’être que la représentation d’un morceau de littérature emprunté et transformé. Mais l’anthropologue Françoise Gründ a découvert que le Tchiloli était beaucoup plus qu’une « singerie » : c’est en réalité une cérémonie magique qui possède plusieurs niveaux de lecture.

Spectacle du 17 au 21 mars 2006, Maison des cultures du monde, 101, bd Raspail, 75006 Paris.
Renseignements : wwww.mcm.asso.fr

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires