Un étudiant sénégalais à Wuhan témoigne : « Tout ce que je demande, c’est de rentrer »

Le sort de treize étudiants sénégalais actuellement confinés à Wuhan, épicentre de l’épidémie de coronavirus, inquiète beaucoup leurs familles et proches. Alors que les autorités sénégalaises affirment ne pas être en capacité de rapatrier leurs ressortissants actuellement bloqués en Chine, l’un d’entre eux raconte sa vie de reclus et ses espoirs de retour.

Des Italiens évacués de Wuhan, épicentre de l’épidémie de coronavirus, le 3 février 2020. © Andrew Medichini/AP/SIPA

Des Italiens évacués de Wuhan, épicentre de l’épidémie de coronavirus, le 3 février 2020. © Andrew Medichini/AP/SIPA

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Publié le 6 février 2020 Lecture : 4 minutes.

Voilà quatre jours que Moussa* est calfeutré dans sa chambre d’étudiant, sur le campus de l’Université de technologie de Wuhan, où il étudie l’informatique depuis septembre 2019. Comme ses douze autres camarades sénégalais – trois filles et neuf garçons – il vit reclus, selon les règles mise en place dans la métropole chinoise, placée sous quarantaine depuis le 23 janvier. La capitale de la province de Hubei, où les étudiants sont légions, est l’épicentre de l’épidémie de coronavirus, dont le nombre de cas explose en Chine, avec à ce jour plus de 28 000 contamination et 563 morts.

Les instants de liberté de l’étudiant de 25 ans se résument à quelques instants passés sur son balcon, au deuxième étage du dortoir, où il sort, masque noir sur la bouche, pour se faire à manger, « afin d’éviter les cuisines publiques de l’établissement ». « Aussi peu souvent que possible », il se rend également dans les rares supermarchés de la ville encore ouverts, à 20 minutes à pieds du campus, « pour faire des provisions ».

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Empêché de rentrer par ses propres moyens depuis la mise en quarantaine, assortie l’arrêt de tous les moyens de transports, la seule chance de Moussa de rentrer au Sénégal est un rapatriement organisé par l’État. Alors lorsque Macky Sall a déclaré ce lundi que le Sénégal n’avait « pas les moyens de rapatrier ses compatriotes », Moussa et ses camarades n’ont « pas compris ».

Tuant le temps devant des films d’action et des retransmissions de matchs de foot, il espère quitter « aussi vite que possible » cette province cadenassée où « il a tout le temps peur de tomber malade » et pourvoir rentrer chez lui, à Dakar, le plus tôt possible.

Jeune Afrique : Depuis quand n’avez-vous pas quitté votre chambre ?

Moussa : Cela va bientôt faire deux semaines que je suis calfeutré, étant donné qu’on nous a vivement conseillé de ne pas sortir et de ne pas être en contact avec les autres étudiants, où avec les gens de la ville.

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La dernière fois que je suis sorti, c’était il y a quatre jours, pour aller acheter de la nourriture. Je n’ai plus aucune liberté. Au début, je continuais à réviser, mais là, je n’ai plus trop la tête aux études. Je me change les idées avec des films d’action, et des matchs de foot. On reste enfermé, on ne voit personne. La vie devient un peu virtuelle.

Concrètement, comment se passent ces sorties ?

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C’est assez compliqué. Les magasins sont à vingt minutes à pieds de là où je vis. Et il n’y a plus aucun moyen de transports. J’ai une moto, mais je n’ai plus le droit de l’utiliser.

Dehors, quand je marche, je ne rencontre quasiment personne, la ville est déserte. Et lorsque je suis au supermarché, je ne suis pas à l’aise, j’ai peur du contact avec les autres. Je mets systématiquement un masque, et même des gants. Je veux qu’il n’y ait aucun contact direct avec le monde extérieur.

Avez-vous été alertés dès le début sur les dangers de l’épidémie ?

J’ai commencé à entendre parler du virus à partir de décembre, mais je ne prenais pas la menace au sérieux. Je gardais mon masque dans la poche quand je sortais. Le 31 décembre, j’étais à même Hankou, d’où serait parti le virus, pour dîner avec des amis. On en faisait plutôt des blagues, dès que quelqu’un toussait. Mais le 23 janvier, au réveil, c’était brutal. On ne pouvait plus sortir, tous les moyens de transports ont soudainement été arrêtés.

Etes-vous en contact avec vos camarades sénégalais sur le campus ?

On n’a pas le droit de se voir. Deux Sénégalais ont une chambre dans le même dortoir que moi, mais on ne s’est pas vus depuis plus d’une semaine. On se parle tous les jours sur WeChat, on essaie de réfléchir ensemble à des solutions pour rentrer. On fait le point sur les discussions avec les autorités.

Tous les matins, je me lève avec l’espoir d’un message m’annonçant que je rentre à Dakar.

Tour de la grue jaune Wuhan © Tour de la grue jaune, Wuhan. Gary Lee Todd, Ph. D._CC

Tour de la grue jaune Wuhan © Tour de la grue jaune, Wuhan. Gary Lee Todd, Ph. D._CC

Comment avez-vous vécu la déclaration de Macky Sall, qui affirme que le Sénégal n’est, pour l’instant, pas en mesure de vous rapatrier ?

Si l’Algérie et le Maroc sont capables de le faire, le Sénégal est capable de le faire ! Le Sénégal a largement les moyens de venir chercher 13 étudiants.

Il faut un avion, le Sénégal en a. Trois ou quatre médecins pour nous accompagner, le Sénégal ne manque pas de médecins compétents. Un bus pour nous récupérer sur les campus, le Sénégal peut financer un bus. Puis, il faut nous mettre à l’isolement une fois de retour au pays. Là encore, le Sénégal a les structures nécessaires.

Je suis certains que ce n’est pas un problème de moyens. Et si ça l’est, le Sénégal n’a qu’à faire comme la Mauritanie et profiter de l’aide d’autres pays. Je me demande tous les jours ce qui les empêche de venir nous chercher.

Le Sénégal dit toutefois vous avoir envoyé des « appuis », de quoi s’agit-il ?

Nous avons reçu 600 000 francs CFA (914 euros) du gouvernement. On nous a expliqué que c’était pour nous approvisionner. Franchement, je n’en voulais même pas, cet argent ne me sert à rien puisque je ne peux aller nulle part pour le dépenser. Rien n’est ouvert hormis les supermarchés, et même aller au supermarché, c’est un risque. Tout ce que je demande c’est de rentrer.

*le prénom a été changé

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