Procès Gbagbo : la procureure de la CPI a l’intention de demander un nouveau procès

Les avocats de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont croisé le fer avec ceux de l’État de la Côte d’Ivoire, jeudi, lors de l’audience du procès en appel devant la CPI portant sur le réexamen des conditions de la liberté conditionnelle des deux hommes, acquittés il y a plus d’un an. L’accusation a pour sa part annoncé son intention de « demander un nouveau procès ».

Laurent Gbagbo, à la CPI, après l’annonce de son acquittement, le 15 janvier 2019. © Peter Dejong/AP/SIPA

Laurent Gbagbo, à la CPI, après l’annonce de son acquittement, le 15 janvier 2019. © Peter Dejong/AP/SIPA

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Publié le 7 février 2020 Lecture : 4 minutes.

La CPI « fait droit aux demandes d’acquittement » des avocats de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé et « ordonne la mise en liberté »  de l’ancien président ivoirien et de son ex-ministre de la Jeunesse. Le 15 janvier 2019, cette décision de la Cour pénale internationale (CPI), trois ans après le début du procès de Laurent Gbagbo pour crimes contre l’humanité, avait provoqué une vague d’espoirs chez les partisans de l’ancien président ivoirien.

Un an après, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont cependant toujours en Europe, soumis au régime de la liberté conditionnelle. Et jeudi, une nouvelle bataille judiciaire s’est ouverte à La Haye : le procès en appel portant sur la demande de « mise en liberté immédiate et sans condition » portée par les avocats de la défense.

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L’audience qui s’est tenue devant la chambre d’appel de la CPI a donné lieu à une nouvelle passe d’armes entre les avocats de la défense, l’accusation, et les avocats de l’État ivoirien qui, pour la première fois, intervenaient dans le procès.

Questions de principes et attaques politiques

Face au juge nigérian Chile Eboe-Osuji, les avocats de Gbagbo ont sonné la charge sur le front des principes. Une personne acquittée « doit pouvoir exercer l’intégralité de ses droits, y compris ses droits civils et politiques. Ce principe est reconnu par toutes les juridictions internationales des droits de l’homme », a plaidé Me Dov Jacobs.

Citant une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), il affirme qu’ « une fois qu’une personne est acquittée, il n’existe aucune base juridique qui permet d’imposer des mesures restrictives à sa liberté sur la base de suspicion de trouble à l’ordre public se fondant sur de simples allégations ».

Plus offensive, Me Jennifer Naouri a pour sa part attaqué sur le front politique, s’appuyant pour l’occasion sur la présence des avocats de l’État ivoirien, mandatés par le ministre ivoirien de la Justice, Sansan Kambilé, admis pour la première fois à intervenir au procès. « La véritable intention des avocats de l’État est de s’opposer au retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara veut empêcher tous les opposants de se présenter à l’élection. C’est pourquoi des députés sont arrêtés et jetés en prison. Même Guillaume Soro Guillaume, ex-allié de Ouattara est pourchassé », a lancé l’avocate.

Un procès récurrent a été fait au gouvernement ivoirien d’être dans les coulisses de ce procès, son instigateur, ce qui est inexacte, pénible et dangereux

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Une thèse du complot politique qui fait écho aux slogans entendus à l’extérieur du tribunal, où des partisans de l’ancien président ivoirien s’étaient rassemblés, contre laquelle les avocats de l’État ivoirien se sont inscrit en faux.

Si la liberté de Laurent Gbagbo doit continuer d’être strictement encadrée, c’est pour qu’il « reste présent à ce procès », a plaidé Me Jean-Pierre Mignard, porte-parole des avocats de Côte d’Ivoire dans cette procédure, invoquant par ailleurs le risque de fuite de l’ancien chef d’État. « Un procès récurrent a été fait au gouvernement ivoirien d’être dans les coulisses de ce procès, son instigateur, ce qui est inexacte, pénible et dangereux », a-t-il déploré.

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Les avocats de l’État accusent Gbagbo

Surtout, l’avocat français a tenu à pointer la responsabilité présumée de Laurent Gbagbo, acquitté par la CPI, dans la crise postélectorale qui a causé la mort d’au moins 3 000 personnes. « C’est le refus de Laurent Gbagbo et de ses partisans de prendre acte de leur défaite électorale de décembre 2010, de se plier ainsi à la légalité constitutionnelle ivoirienne, [qui a] entraîné de violents conflits en Côte d’Ivoire », a affirmé l’avocat.

Fatou Bensouda à la Cour pénale internationale (CPI), le 28 août 2018. © Bas Czerwinski/AP/SIPA

Fatou Bensouda à la Cour pénale internationale (CPI), le 28 août 2018. © Bas Czerwinski/AP/SIPA

La procureure a l’intention de continuer la procédure contre Laurent Gbgabo et Charles Blé Goudé

« Qu’est-ce qui justifierait que la liberté de Laurent Gbagbo soit restreinte pendant l’appel ? », s’est interrogé Me Jacob, soulignant qu’« en l’état des demandes actuelles des parties, le procès va s’arrêter ». Sauf que Reinhold Gallmetzer, substitut de la procureure Fatou Bensouda, a annoncé à l’audience que « la procureure a l’intention de continuer la procédure contre Laurent Gbgabo et Charles Blé Goudé » et, si l’appel venait à être accepté, le bureau du procureur de la CPI « demandera ensuite un nouveau procès » contre les deux hommes.

Divergence de stratégies

Au cours de l’audience, une divergence de stratégie est apparue entre les avocats de Gbagbo et ceux de Blé Goudé. Alors que ceux du premier demandent l’annulation pure et simple des restrictions fixées à Gbagbo, ceux du second ont plutôt plaidé pour une révision de ces restrictions.

« Il serait important que la Cour lui [Blé Goudé] impose des mesures qui garantiraient ses droits à participer à toute procédure d’appel sans aucune interférence des autorités de son pays », a ainsi plaidé Me Geert-Jan Alexander Knoops, dans une allusion à la condamnation par contumace de son client à vingt ans de prison pour  « actes de torture, homicides volontaires et viol », le 31 décembre dernier.

Ni Laurent Gbagbo, ni Charles Blé Goudé n’ont pris la parole au cours des débats, qui se sont clôt définitivement jeudi en fin de journée. Le président de la Chambre d’appel a ordonné que les parties déposent leurs conclusions écrites ce vendredi, « après quoi, nous vous communiquerons la date de l’arrêt ». Celui-ci pourrait ne pas intervenir avant la présidentielle d’octobre 2020, ce qui écarterait de fait les deux personnalités de cette échéance électorale.

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