Ségolène Ire reine des sondages

À un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, la compagne du premier secrétaire du PS réussit une spectaculaire opération de séduction de l’opinion.

Publié le 21 février 2006 Lecture : 6 minutes.

« Who’s that girl ? » (Qui est cette fille ?) s’interroge Newsweek, dont la grande majorité des lecteurs n’a sûrement jamais entendu parler de Ségolène Royal. À en croire les sondages, la compagne du premier secrétaire du Parti socialiste est aujourd’hui la mieux placée pour accéder à la présidence de la République française en 2007. Même si la route est encore longue – et les embûches nombreuses -, cette spectaculaire percée requiert assurément quelques explications. « Les Français, estiment l’hebdomadaire américain, en ont assez de ces hommes politiques qui gouvernent le pays selon de savantes orientations sans se soucier d’améliorer leur vie quotidienne. »
De fait, tel est sans doute le secret de la popularité de Ségolène Royal : elle échappe au discrédit qui frappe tous les dirigeants qui se succèdent au pouvoir en tenant les mêmes discours sans en tenir les promesses. Du même coup, elle apparaît comme seule capable de dépasser le clivage droite-gauche qui rythme et verrouille la politique française depuis si longtemps, alors même que sa candidature révèle au tréfonds d’une France en apparence immobile des capacités de changement jusqu’ici insatisfaites. Un parcours sans faute que François Mitterrand aurait été heureux d’observer, souligne en connaisseur Roland Dumas. L’ancien ministre socialiste croit suffisamment aux chances de « Ségo » pour lui avoir conseillé d’acquérir une dimension internationale afin de se ménager une place entre Margaret Thatcher et Angela Merkel.
Dans une interview au Financial Times, la favorite des sondages n’hésite pas à faire l’éloge de Tony Blair. Ce même Blair qui avait fait broncher le groupe socialiste de l’Assemblée nationale lorsque, à l’invitation de Laurent Fabius, il avait donné aux députés français une leçon de pragmatisme en définissant la troisième voie tracée par le New Labour : « Pas de préconditions idéologiques ni de veto préalables sur les moyens ; la gestion de l’économie n’est ni de gauche ni de droite. » C’était le 24 mars 1998.
Huit ans après, Royal enfonce douloureusement le clou : « Cela ne me gêne pas d’afficher mon adhésion à certaines des idées de Tony Blair », déclare-t-elle au FT. Et d’aggraver délibérément son cas en vantant la « flexibilité de l’emploi » dont les Britanniques ont fait l’arme absolue contre le chômage, alors qu’elle reste maudite sous le nom de « précarité » dans toute la gauche française. Avant de conclure, sur cette lancée iconoclaste, par la condamnation de tous les blocages – « les 35 heures, par exemple » qui affectent la société française. Cela aurait pu constituer sa première erreur. En fait, loin de la sanctionner pour cette profession de foi sociale-démocrate libérale, les sondages confirment ses gains de sympathie chez les électeurs de l’UDF et du centre-droit.
À gauche, où certains rires commencent à jaunir, on s’efforce de se rassurer en décrétant que les sondages « répliquent indéfiniment la photo de la même situation ». Mal vu ! La photo s’agrandit et se précise. Le 3 février, pour la première fois, un sondage l’a placée devant Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle (51 % contre 49 %). Quelques semaines auparavant, elle accusait dix points de retard sur le patron de l’UMP. Une autre enquête donne peut-être l’explication de ce revirement : Royal est apparemment la mieux placée pour profiter de l’effet repoussoir suscité par la candidature Sarkozy. Ce rejet reste fort chez les partisans de François Bayrou (41 %), de Jean-Marie Le Pen (33 %), de Philippe de Villiers (24 %), voire de Dominique de Villepin (28 %). Le politologue Jean-Luc Parodi remarque que chaque objection paraît la renforcer, que chaque obstacle la propulse en avant. Plus les « caciques » des partis mettent en doute ses compétences, plus l’opinion compte sur elle pour renouveler l’offre politique.
Royal est désormais entrée dans la phase de consolidation de ses premiers acquis, tandis que les commentaires, délaissant les supputations sur ses chances de victoire, s’efforcent de comprendre le « phénomène » qu’elle constitue. Si l’on avait soumis à un ordinateur la liste des critères qui, aux yeux de la majorité, désignent le meilleur candidat à l’Élysée, la machine l’aurait placée largement en tête, comme on peut le déduire d’une enquête quasi psychanalytique réalisée par la Sofres pour Le Figaro. Quelles qualités les Français attendent-ils de leur prochain président ? D’avoir l’âge idéal, 50-59 ans (Ségolène en a 52) ; d’être très actif en politique intérieure plutôt qu’un arbitre au-dessus de la mêlée ; de comprendre leurs problèmes quotidiens plutôt que de « bien représenter la France à l’extérieur » ; de respecter leur sens des valeurs (au premier rang desquelles, l’honnêteté). Viennent ensuite « l’écoute des autres », « l’intelligence » et « la détermination ». La « prestance » n’est plus mentionnée que par 13 % des personnes interrogées. Cette réaction moderniste est sans doute la conséquence de la désacralisation du mandat présidentiel par le quinquennat. L’enquête confirme enfin l’indifférence des électeurs pour la situation matrimoniale des candidats. Seules les « relations extraconjugales » sont désapprouvées.
Les Français veulent le changement, quelle que soit la forme qu’il prendra. De ce point de vue, Ségolène Royal est la candidate idéale. Mais là n’est pas la seule explication du « phénomène ». En France plus encore que dans les autres démocraties européennes, toute élection est désormais prétexte à voter « contre ». L’échec du référendum européen a marqué l’apogée de cette évolution dévastatrice. Sarkozy en a compris le premier les leçons en définissant son programme comme une stratégie de rupture. Et ce n’est pas seulement par rouerie politicienne qu’il s’efforce d’assimiler la tentative de sa rivale socialiste à sa propre démarche. Issue, comme lui, du « système », cette dernière est perçue comme la candidate la mieux à même de faire évoluer le régime de l’intérieur et, simultanément, d’ouvrir de nouvelles perspectives après des années de mécontentements accumulés.
On le discerne, là encore, clairement entre les lignes des sondages, où elle additionne les « votes » de protestation et les « votes » d’adhésion, offrant aux premiers une chance de vote utile et aux seconds une garantie de changement. Royal serait donc la mieux placée pour ressouder la « gauche plurielle » naguère inventée par Jospin et dont l’éparpillement au premier tour de la présidentielle de 2002 lui fut fatal.
10 février 2006. Invitée à Arras par le président de la plus importante fédération du PS (celle du Nord), Royal découvre en live les épreuves qui l’attendent. Tous les envoyés spéciaux, car elle a maintenant sa cohorte de suiveurs médiatiques, relèvent le contraste saisissant entre l’attitude plutôt bienveillante des militants et l’accueil glacial (« aux limites de la muflerie », écrit Le Parisien) que lui réservent les cadres locaux. Pour ces derniers, en effet, le candidat socialiste ne saurait être que Jack Lang. Et ils ne l’envoient pas dire. « Ici, on ne choisit pas un candidat en fonction du nombre des caméras », tonne l’un d’eux. Un autre ose une métaphore sportive : « Tout effort excessif à l’entraînement risque de se payer dans la dernière ligne droite. » Ambiance.
Le même jour à Portes-lès-Valence, dans la Drôme, où il se fait acclamer par un millier de personnes, Jospin entame la promotion de son dernier livre, Le Monde comme je le vois. Sa tournée le mènera dans plusieurs villes de province et lui permettra de multiplier les contacts avec les journalistes. C’est un tournant dans la campagne. Tous les observateurs soulignent le parallélisme des deux démarches : celle de la candidate déclarée et celle de l’ancien Premier ministre, dont le silence sur ses intentions apparaît à nombre de socialistes de plus en plus éloquent. L’on sait bien qu’en politique les parallèles finissent parfois par se rejoindre…
L’habileté de Ségolène Royal est d’avoir progressivement accaparé le vide laissé par la retraite de Jospin. Ce vide, seul l’ancien Premier ministre peut aujourd’hui le lui disputer. Soit au profit de l’un des quatre autres candidats. Soit pour lui-même. Dans cette dernière hypothèse, ce serait pour la présidente de Poitou-Charentes la fin, au moins provisoire, d’une audacieuse aventure qui aura captivé la France pendant plusieurs mois. À moins qu’il ne s’agisse, puisque décidément l’heure est aux grands changements, de l’ébauche d’un « ticket » à la française

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