Peur sur l’Afrique

Le virus qui inquiète toute la planète continue sa progression. Après l’Asie et l’Europe, il s’est posé au sud du Sahara, dans le nord du Nigeria. Manque d’information et de moyens, perméabilité des frontières : face au H5N1, le continent semble bien dému

Publié le 21 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Des bûchers fument dans les fermes. Des hommes portant combinaisons blanches et masques circulent au milieu des milliers de cadavres de poulets. Un policier tue des autruches au fusil-mitrailleur. Les images de carnage dans le nord du Nigeria rappellent la terrible épizootie de fièvre aphteuse qui a conduit au sacrifice de millions d’animaux en Europe en 2001. L’apparition du virus hautement pathogène de la grippe aviaire en Afrique est venue réveiller les plus grandes menaces d’épidémie. Depuis son déclenchement en Asie en 2003, le H5N1 (nom scientifique du virus) a déjà provoqué l’abattage de centaines de millions de volailles, causé le décès de plus de 90 personnes atteintes par la forme humaine de la maladie et, relayé par les médias de la planète, engendré la psychose.
Si le risque de pandémie a pour le moment été contenu, les scientifiques craignent aujourd’hui le pire : que la mutation du virus, qui permettrait la contagion de l’homme à l’homme, et pas seulement de l’animal à l’être humain, intervienne en Afrique, là où les services vétérinaires et de santé publique sont particulièrement démunis.
La découverte des premiers cas dans les exploitations avicoles africaines constitue un scénario particulièrement alarmant. Pour les nations, bien sûr, mais aussi pour la planète. De nombreux experts n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme au cours des douze derniers mois. Le continent est celui de tous les dangers. Que les premiers cas surviennent au Nigeria, un État qui compte 130 millions de personnes et presque autant de volailles, était à la fois prévisible et inquiétant.
Devant son équipe rassemblée dans le grand bâtiment onusien, en plein centre-ville de Rome, le docteur Joseph Domenech, chef des services vétérinaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a passé en revue la situation dès le signalement du virus dans l’État de Kaduna, le 8 février. Notifiée très tardivement, la maladie se propage rapidement d’autant que les éleveurs ne signalent pas les nouveaux cas et s’empressent d’écouler leurs animaux, faute d’un système bien rodé d’indemnisations. Le territoire est immense, l’État particulièrement désorganisé, le pouvoir central a le plus grand mal à contrôler son administration, les services vétérinaires sont faibles et toute intervention prend beaucoup trop de temps.
La décision est donc prise rapidement de constituer une équipe internationale pour épauler les spécialistes nigérians. Le 11 février, une équipe de choc formée d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la FAO et des puissances occidentales atterrit au Nigeria et ratisse le terrain en compagnie des techniciens nationaux.
Le 14 février, plus de 100 000 poulets avaient déjà été abattus, mais la maladie continue à se répandre comme une traînée de poudre du nord au centre du pays. La FAO suspecte l’apparition des premiers cas au Niger voisin. Pour bien faire, il faudrait fermer les marchés de volailles et forcer les aviculteurs à respecter scrupuleusement les mesures d’hygiène lors des opérations d’abattage. Un travail de titan dans un si grand pays, où le millier d’équipements de protection envoyé par les États-Unis et l’ONU se fait attendre.
Afin d’éviter la propagation aux pays limitrophes, la communauté internationale a lancé un appel pressant aux services vétérinaires des pays bordant le Nigeria (Bénin, Cameroun, Niger et Tchad) pour renforcer les mesures d’inspection et de contrôle aux frontières. Le président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, s’est déclaré « très préoccupé » et a mobilisé son institution pour apporter l’appui nécessaire aux efforts régionaux visant à endiguer la maladie.
Tous les services vétérinaires africains sont donc sur le pied de guerre et activent les plans de prévention préparés notamment lors de la réunion des directeurs des services vétérinaires et des ministres concernés au Rwanda en octobre dernier. Les importations de volailles sont déjà circonscrites dans la plupart des États. Des parades qui pourront peut-être enrayer le commerce des poulets d’un pays à l’autre. Mais qui ne pourront en aucun cas arrêter le vol des oiseaux migrateurs, autre canal de transmission de l’épizootie.
Les pays d’Afrique australe et de l’Est, placés en première ligne sur le chemin des migrations, ont renforcé leur arsenal de protection et lancé des campagnes d’information. Au Cameroun, le gouvernement a échafaudé une « stratégie globale » avec notamment la formation de médecins-sentinelles, tandis qu’au Sénégal le parc ornithologique du Djoudj et la langue de Barbarie, qui accueillent chaque année des millions de volatiles, font l’objet d’une attention toute particulière. Vigilants, les responsables de santé animale en Afrique du Nord ont tenu une réunion de crise le 10 février pour coordonner la lutte en cas de déclenchement de l’épidémie.
Face à l’urgence de contenir la propagation de la maladie, les gouvernements africains hésitent sur la stratégie de communication à adopter. Il faut prévenir les populations pour qu’elles signalent tout cas suspect, sans pour autant les faire céder à la panique. Des millions de foyers vivent en effet de l’industrie de la volaille et du petit commerce du « poulet-bicyclette ». En Afrique de l’Ouest, la volaille est un produit central de l’alimentation de base. On dénombre environ 1,5 milliard de gallinacés sur le continent pour des exportations qui s’élèvent à 18 millions de dollars. Sur les marchés, les ménagères commencent à bouder le poulet (voir les reportages de nos envoyés spéciaux) et les prix de la viande rouge grimpent en flèche. De quoi déstabiliser des pans entiers de l’économie agricole.
À quelques milliers de kilomètres, la psychose a atteint les foyers européens avec la déclaration de nouveaux cas le 11 février en Italie, puis en Grèce et en Allemagne, notamment sur des cygnes sauvages retrouvés morts. Les services vétérinaires multiplient les analyses et se préparent à des éliminations massives en cas de présence du virus dans les fermes avicoles. Plusieurs États ont ordonné le confinement des volailles à l’intérieur des exploitations et Bruxelles a décrété un embargo sur l’importation des plumes.
L’inquiétude est d’autant plus forte que les dizaines de millions d’oiseaux qui séjournent depuis le début de septembre en Afrique en quête de nourriture s’apprêtent à regagner l’Europe. C’est en effet à la fin de février que les premiers canards, hirondelles, grues cendrées, cigognes ou encore grands rapaces entameront leur périple de retour vers le Vieux Continent. Ces migrateurs accompliront 7 000 kilomètres avant de se disperser dans les campagnes, les forêts et le long de fleuves.
Comment et dans quelles conditions les oiseaux migrateurs peuvent-ils transmettre la maladie aux animaux de basse-cour et aux hommes ? Quel est le risque pour les êtres humains ? Dispose-t-on de quantités suffisantes de traitements pour faire face à une épidémie ? Quel en sera l’impact économique ? Les réponses varient.
Cette flambée épizootique, cinq ans après celle de la fièvre aphteuse, appelle en tout cas une réponse appropriée de la part des grandes puissances économiques. Et implique, au minimum, d’intensifier les actions de prévention jusqu’au sud du Sahara. Une stratégie qui éviterait de recourir à des procédés moyenâgeux pour enrayer ce fléau. Et qui, pour une fois, pourrait aussi bénéficier à l’Afrique. À la différence du sida, du paludisme ou de la tuberculose, qui ravagent le continent, les pays occidentaux ne pourront pas se contenter de protéger uniquement leurs populations. Les oiseaux n’ont pas de frontières

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